Serge Quadruppani

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Mon nom est personne

ou Wu Ming, refaire le monde en le racontant

mardi 11 décembre 2007, par Serge Quadruppani


Voici une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’a guère d’imitateur. Auteur collectif de romans-fleuves best-sellers en Italie et bien vendus en Angleterre comme en Allemagne ou en Espagne ; théoricien à cinq têtes sur des thèmes aussi divers que la mitopoièse (création des mythes), la culture pop ou le copyleft (gratuité de la culture) ; bouillonnant foyer de création dans l’écrit, la musique, la vidéo, le cinéma, l’ensemble entrant en fusion sur internet ; animant un site en italien, anglais, espagnol, portugais, français, allemand, suédois, hollandais, catalan, slovène et quelques autres langues, en contact avec des dizaines de milliers d’internautes de tous pays ; acteur important des manifestations de Gênes 2001 ; menant, en Italie et dans le reste du monde, maints combats sur la Toile et dans la rue, Wu Ming est encore en mars 2007 à peu près inconnu en France. S’il faut chercher un retard français, on le trouvera non pas dans les supposées réticences hexagonales aux merveilles de la mondialisation des capitaux, mais bien plutôt dans les pesanteurs des systèmes de légitimation et de diffusion culturelles, si peu armés pour apercevoir la vraie nouveauté, quand bien même elle l’a sous leurs yeux.

De fait, la publication du présent livre, écrit par Wu Ming 1 et de Guerre aux humains, de Wu Ming 2, n’est pas la première apparition du phénomène en français. En 2001, a été publié aux éditions du Seuil un livre qui n’a pas remporté le succès qu’il aurait mérité (rien de comparable en tout cas avec celui qu’il a connu en Italie et en bien d’autres pays) : L’œil de Carafa. En italien, le titre avait la puissance de sa brièveté : Q. Fresque des révoltes paysannes levées au XVIe siècle dans le sillage de la Réforme, ce livre polyphonique, ode à la communauté humaine en marche dès l’aube des temps modernes, était aussi une œuvre collective, signée Luther Blisset. A ce point, on espère que le lecteur, renvoyé d’un nom mystérieux à un autre, se demande avec l’ardeur d’un amateur de roman feuilleton parvenu à la fin d’un chapitre : Qui est Luther Blisset ? Qui est Wu Ming ? C’est ce que vous saurez en lisant :

Les ténébreux complots de Luther Blisset

Luther Blisset est une signature partagée par des centaines d’artistes et d’activistes à travers l’Europe et l’Amérique du Sud depuis l’été 1994. Pour des raisons qui restent inconnues, ce nom a été emprunté à un joueur de foot-ball d’origine afro-caribbéenne. Lequel a montré, avant et après quelques autres, que bien des footballeurs savent se servir de leur tête autrement qu’en l’enfonçant dans la poitrine de l’adversaire : lors d’une émission de la BBC, en 2004, il a manifesté son amusement pour cet usage de son nom, et brandi un exemplaire d’un livre de théorie critique signé Wu Ming. En Italie, entre 1994 et 1999, le « Luther Blisset Project », réseau organisé, devint un phénomène très populaire, réussissant à créer la légende d’un héros populaire. Un Robin des bois de l’information qui multiplia les canulars médiatiques durant cinq ans. On n’en citera que quelques-uns. En 1995, Harry Kipper, artiste conceptuel britannique disparaissait à la frontière italo-slovène lors d’un voyage à VTT mené dans l’intention de dessiner sur la carte de l’Europe le mort « ART ». Chi l’a visto ?, célèbre émission italienne (équivalente de « Perdu de vue »), tomba dans le panneau et se couvrit de ridicule. Harry Kipper n’avait jamais existé.

Le canular le plus complexe fut mis en œuvre dans le Latium, en 1997. Il dura un an. A grand renfort de fausses traces de rites, de communiqués jamais vérifiés par les rédactions, politiciens et journalistes de la presse écrite et télévisée furent poussés à développer les plus extravagantes théories sur la renaissance du satanisme. Le canular fut ensuite loué et analysé par des universitaires et des experts des médias, et devint un cas d’étude dans plusieurs textes scientifiques.

C’est ce que les activistes du Luther Blissett Project appelaient « la contre-information homéopathique » : en injectant une dose calculée de fausseté dans les média, ils visaient à montrer le manque de sérieux de beaucoup de créateurs d’opinion et le manque de fondement des climats de panique morale. Renversant la célèbre sentence de Debord (qu’ils n’apprécient guère), ils font en sorte que le « faux soit un moment du vrai ». Le canular final advint avec l’emprisonnement en Serbie du sculpteur et performeur serbe Darko Maver, tué ensuite par un bombardement de l’OTAN. Ses tableaux furent exposés à Rome et à Bologne et de prestigieux magazines artistiques publièrent un appel de solidarité. Certains critiques respectés prétendirent même connaître personnellement l’artiste. Il fallut attendre que Luther Blisset se fasse hara-kiri pour que la vérité soit révélée : Darko Maver n’avait jamais existé.

Au terme de ce plan quinquennal de dévoilement des mécanismes médiatiques, en 1999, le Luther Blisset Project se saborda, donnant naissance à des groupes divers. L’un d’eux fut 0100101110101101.org, groupe de média-artistes qui réussirent à convaincre la population de Vienne que Nike voulait racheter la Karlsplatz et la rebaptiser « Nikeplatz », ce qui entraîna les débats qu’on imagine en Autriche.

Un autre groupe fut constitué par quatre activistes bolognais qui, gardant le nom du footballeur, écrivirent Q. Publié en Italie en 1999, le livre a été édité ensuite en anglais (britannique et américain), espagnol, allemand, néerlandais, français, portugais (brésilien), danois, polonais et grec.

Le code Wu Ming

En janvier 2000, une cinquième personne se joignait aux quatre auteurs de Q, et un nouveau groupe d’auteurs était né, Wu Ming. Selon la manière dont on prononce la première syllabe, ce mot chinois signifie soit « anonyme » (signature habituelle des tracts des dissidents chinois) soit « cinq noms ». Le nom fut choisi à la fois comme hommage à la dissidence et par rejet explicite de l’Auteur-star. Publié en 2004 en italien, et ensuite en bien d’autres langues (mais pas en français), 54, la première grande œuvre collective de Wu Ming, faisait croiser l’histoire d’une douzaine de personnages (dont Cary Grant, Tito et le général Giap). Ce roman a inspiré le groupe de folk-rock Yo-Yo Mundi, dont l’album porte le même titre que le livre (8000 exemplaires vendus, ce qui en Italie est un excellent résultat, surtout quand la vente se fait pour l’essentiel hors des circuits institués). WM a aussi écrit le scénario d’un film de Guido Chiesa, Radio Alice, vu en Italie par 500 000 spectateurs, et lauréat de nombreux prix dans des festivals.

Quoi qu’ils affectionnent les apparitions publiques en passe-montagne, l’identité des cinq membres de Wu Ming n’est pas secrète, mais il considèrent que leur travail est plus important que leur biographie ou leur visage. Par ordre alphabétique, Roberto Bui est Wu Ming 1 Giovanni Cattabriga, Wu Ming 2, Luca Di Meo, Wu Ming 3, Federico Guglielmi Wu Ming 4 et Riccardo Pedrini Wu Ming 5. Pour une bibliographie complète, comprenant les œuvres individuelles, on se reportera en fin de volume.

Entre-temps, en 2001, les quatre auteurs de Q avaient écrit une série d’appels, qui furent très largement diffusés et qui annonçaient et accompagnaient le mouvement de contestation du sommet du G8 en juillet à Gênes, énorme rassemblement, immense espérance d’un autre monde possible qui devait se conclure, comme chacun devrait se souvenir, par une répression féroce de manifestants désarmés et la mort de Carlo Giuliani, tué par un carabinier. Titrés « Des multitudes d’Europe en marche contre l’Empire et vers Gênes », ces textes publiés avant le rassemblement frappent par leur qualité littéraire et leur ton millénariste, qui évoque la thématique de Q : « Nous sommes nouveaux, mais nous sommes de toujours. Nous sommes anciens pour le futur, armée de la désobéissance dont les histoires sont des armes, en marche depuis des siècles sur ce continent. Sur nos étendards est écrit « dignité ». En son nom, nous combattons quiconque se veut maître des personnes, des champs, des bois et des cours d’eau, gouverne par l’arbitraire, impose l’ordre de l’Empire, réduit les communautés à la misère. Nous sommes les paysans de la Jacquerie (…) Nous sommes les ciompi de Florence, petit peuple des fabriques et des arts mineurs. En l’an du Seigneur 1378, un cardeur nous conduisit à la révolte. (… ) Nous sommes les paysans d’Angleterre qui prirent les armes contre les nobles pour mettre fin à la gabelle et aux impôts. En l’an du Seigneur 1381, nous avons écouté la prédication de John Ball : « Quand Adam bêchait et qu’Eve filait/où était le maître ?… »

Voici un autre aspect qu’il importe de saisir, et qui nous renseigne autant sur Wu Ming que sur notre époque : si son site a 90 000 visiteurs par mois, avec un bulletin (Giap) diffusé à 9000 abonnés, c’est parce que WM a des idées, et une pratique qui va avec. Pour en donner un aperçu, je livrerai ci-après quelques extraits de divers textes, tous disponibles sur wumingfoundation.com, ainsi que d’une interview de WM1 que j’ai menée en juin 2006. Cette dernière constitue une excellente introduction à New Thing.

Mythes et Narrateurs

Dans des notes pour une déclaration des droits (et devoirs) des narrateurs, Wu Ming écrit : « Est narrateur (ou narratrice) quiconque raconte des histoires et ré-élabore des mythes, ensembles de références symboliques partagées – ou du moins connues, et à l’occasion mises en discussion – par une communauté. Raconter des histoires est une activité fondamentale pour n’importe quelle communauté. Tous, nous racontons des histoires. Sans histoires, nous ne serions pas conscients de notre passé ni de nos relations avec le prochain. Il n’existerait pas de qualité de la vie. Mais le narrateur fait son activité principale, sa « spécialisation », de raconter des histoires : c’est comme la différence entre le hobby du bricolage et un emploi de menuisier. Le narrateur remplit – ou devrait remplir – une fonction sociale comparable à celle du griot dans les villages africains, du barde dans la culture celtique, de l’aède dans le monde classique grec (…) »

Dans une intervention en anglais de 2004 (traduite ici en français par mes soins, NDT), Wu Ming écrivait : « Nous nous intéressons au processus social de construction des mythes, ce qui ne signifie pas pour nous « des histoires fausses », nous entendons par là des histoires racontées et partagées, re-racontées et manipulées, par une vaste et multiple communauté, des histoires qui pourraient donner forme à une espèce de rituel, une espèce de sens de la continuité entre ce que nous faisons et ce d’autres ont fait dans le passé. (…)

Les révolutions et les mouvements radicaux ont toujours trouvé et raconté leurs propres mythes. Elles se sont souvent retrouvées emprisonnées dans la cage de fer de leurs propres mythes : leurs traditions et rituels devenaient aliénants, la continuité entre le passé et le présent était « imposée » aux gens au lieu de leur être proposée.(…)

Les mythes sont nécessaires. Nous ne pourrions vivre ensemble sans histoires à raconter et à écouter, sans « héros » dont nous pouvons suivre ou rejeter l’exemple. Notre langage, nos souvenirs, notre imagination et notre besoin de former des communautés sont ce qui fait de nous des êtres humains, et les histoires les font tenir ensemble. Il n’y a pas moyen de nous débarrasser des mythes et pourquoi, bordel, devrions-nous le faire ? » Dans une interview à une revue barcelonaise, en 2003, WM4 disait : « La question, donc, est la suivante : comment est-il possible d’empêcher que les mythes se cristallisent, s’aliènent la communauté qui veut les utiliser pour raconter sa propre lutte de transformation du monde, se retournant contre la communauté elle-même ? Notre réponse (…) est : en racontant des histoires. Il ne faut jamais cesser de raconter des histoires du passé, du présent et du futur, qui maintiennent en mouvement la communauté, qui lui restituent constamment le sens de sa propre existence et de sa propre lutte. Des histoires qui ne soient jamais les mêmes, qui représentent les débouchés d’un chemin articulé à travers l’espace et le temps, qui deviennent des pistes praticables. Ce qu’il nous faut, c’est une mythologie ouverte et nomade, où le héros éponyme est l’infinie multitude d’êtres vivants qui a lutté et qui lutte pour changer l’état des choses. Choisir les histoires justes signifie s’orienter selon la boussole du présent. Il ne s’agit donc pas de chercher un guide (qu’il s’agisse d’une icône, d’une idéologie, d’une méthode), un Moïse qui puisse nous conduire à travers le désert, ni une tribu de Levi à l’avant-garde des autres. Il s’agit d’apprendre à lire le désert et toutes les formes de vie qui l’habitent, découvrir qu’en réalité, ce n’est nullement un « désert » et que le point d’aboutissement de l’exode n’est pas une fantomatique Terre Promise, mais un maillage de « routes des chants » traçables dans le désert lui-même, qui finissent par le modifier et le repeupler continuellement. »

La culture pop vue par Wu Ming

Q : (…) Pourriez-vous ré-expliquer votre point de vue sur la culture de masse, ce que vous pensez de la relation entre « culture pop » et « culture médiatique » ?

WM4 : Il est profondément erroné de penser que la culture « pop » coïncide avec la culture médiatique. La culture populaire et de masse est infiniment plus riche et se nourrit d’un nombre incalculable de sources et de points de départ. Guy Debord assignait à la capacité spectacularisatrice du capital un pouvoir infini, développant une attitude paranoïaque envers l’industrie de l’image et réduisant tout à une seule catégorie : le Spectacle. Le capital spectacularisé était omnipotent, il pouvait récupérer n’importe quelle expression humaine, surtout celles des rebelles, en les neutralisant. Dire que le Spectacle récupère tout est comme ne rien dire. La définition que Debord donne du spectacle ne signifie rien : « Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images ». Les rapports sociaux entre êtres humains sont médiatisés par des images depuis que le premier Homo Sapiens a peint des scènes de chasse sur les parois d’une grotte pour que quelqu’un d’autre puisse « lire » et raconter ces histoires. Et cela n’a pas empêché qu’au cours des millénaires, les hommes vivent intensément leur vie, aiment, haïssent, se reproduisent, se rebellent, engendrent des idées, des conceptions du monde, des philosophies. La pensée paranoïaque de Debord conduit tout droit à l’inaction, ou au maximum à une action pour soi, qui craint d’être communiquée, de se faire communication parce que « apparaître » est déjà trahir sa propre intention authentique. Cette ligne de pensée est tout à fait inutile et pourrait peut-être être définie comme le dernier aboutissement exaspéré de la pensée dialectique hégélienne, « négative », interprétable en termes psychanalytiques de névrose extrême. Il existe aussi un autre courant de pensée qui superpose la culture pop à la prolifération médiatique. C’est ce qu’on appelle la pensée post-moderne, qui au cours des années 80 du siècle passé a pris de manière erronée la crise des idéologies des XIXe et XXe siècles pour la fin des grandes narrations. Aujourd’hui, les narrations sont redevenues acteurs de l’histoire, qu’il s’agisse des récits « impériaux » néo-libéraux ou de ceux des multitudes qui racontent un autre monde possible, et la pensée de Lyotard est balayée. La vérité est que la culture médiatique n’est qu’une partie de la culture populaire, ou plutôt, elle n’en reflète que quelques aspects, mais elle ne pourra jamais la réduire à elle-même.

(Extrait de l’interview barcelonaise déjà citée)

Une interview de WM1

Q : Il semble que Wu Ming ne se contente pas de rencontrer des gens sur internet mais multiplie les rencontre publiques… WM1 : Depuis la sortie de Q, nous avons fait plus de 250 rencontres qui ne sont pas seulement des présentations de livre mais aussi de véritables assemblées, qui quelquefois durent de nombreuses heures. C’est un moment déterminant pour nous, de vérification de notre travail, mais aussi de récolte de nouveaux points de départ et d’idées pour les romans et pour notre bulletin Giap. Q : L’adoption d’une forme syncopée (en accord avec le sujet du livre) dans New Thing, le recours aux documents, aux textes d’époque, le refus du pseudo langage moyen-âgeux dans Q etc., tout cela montre que vous refusez un réalisme archi-usé tout en essayant de faire circuler le réel dans vos lignes. Peux-tu me dire comment vous vous posez la question de la forme littéraire et comment vous y avez répondu ? WM1 : Nous croyons que forme et contenu ne peuvent être considérés séparément, mais dans le sens que le « comment » détermine le « quoi » : une histoire peut être racontée d’une infinité de manières diverses, et chaque fois, c’est toute une histoire différente. D’après le réalisme socialiste (mais en général toute forme de réalisme), c’est au contraire le « quoi » qui détermine le « comment », une histoire a en soi un noyau de vérité qui ne doit pas être adultéré, un message idéologique univoque, donc la forme doit être subordonnée à ce message. Il y a là une grande illusion de renoncement à la rhétorique, vécue comme du clinquant, de la fanfreluche, un quelque chose qui dénature l’objective vérité d’un texte. Il y a l’idée que les « techniques » sont de la simulation. Il est clair que cela aussi, c’est une forme de rhétorique, donc le réalisme tombe dans un piège conceptuel. WM2 a écrit un jour : « La réalité est faite beaucoup plus souvent de mystères qui ne se résolvent pas. La police trouve l’assassin une fois sur trente, pas comme dans les téléfilms. Le réalisme trahit la réalité beaucoup plus qu’il ne l’avoue. Les histoires vraies sont souvent incompréhensibles. » Q : Quand est-ce que WM va s’attaquer à la grande amnésie italienne, celle qui frappe les années 60 et 70, les années qu’on a dites « de plomb » pour enterrer l’or de la révolte ? WM1 : Sous forme allégorique, nous l’avons déjà fait dans Q et dans New Thing. Nous avons raconté le mouvement de 1977 dans Lavorare con lentezza (titre international : « Radio Alice », NDT). Pour l’instant, nous ne sommes pas intéressés par l’idée d’écrire un roman qui se passerait dans les années 70 italiennes, parce qu’aussi, nous sommes devant une authentique overdose de titres sur cette décennie, entre fictions et mémoires. C’est une amnésie étrange, l’amnésie italienne, parce qu’elle est « sélective » : on parle continuellement des années Soixant-dix, on en parle partout, mais c’est comme l’apparition du fantôme du père de Hamlet, qui arrive pour réclamer vengeance. On n’en parle jamais pour résoudre les problèmes nés à cette époque. Q : Est-ce que, dans New Thing, Sonia Langmut (le personnage principal et toujours absent), et son magnétophone de marque allemande peuvent être perçus comme une métaphore de WM ? WM1 : Sonia Langmut est tant de choses, entre autres la mémoire des années Soixante américaines, une décennie sur laquelle, aux Etats-Unis, s’applique la même réflexion que je viens juste de faire sur les années Soixante-dix en Italie. Il y a une superposition de discours sur les années Soixante, mais on n’affronte pas les nœuds de l’époque. La « stratégie de la tension » adoptée par le FBI contre les mouvements a été révélée, mais elle n’a rien appris. Aujourd’hui, nous avons Guantanamo, nous avons le Patriot Act, nous avons les prisons pleines à craquer de détenus noirs, etc. etc. Sonia Langmut a disparu, laissant derrière elle des bandes à écouter, des phrases à déchiffrer, des énigmes à résoudre. Et puis, Sonia Langmut est l’Europe. Je te recopie ma réponse à une interview : « Sonia Langmut, c’est moi (en français dans le texte, NDT) », j’aurais envie de dire. Mais c’est plus compliqué. Je m’en suis aperçu en écrivant, vers la fin de la pénultième version : Sonia est la mémoire des années Soixante américaines, et plus en général des mouvements radicaux américains du XXe siècle. Quand Valerio Evangelisti a lu New Thing, son livre Nous serons tout (à paraître chez Rivages, traduit par mes soins, NDT). Il a été pour le moins troublé du fait que, sans jamais nous parler de nos livres respectifs, nous avons parlé des mêmes choses ! Les époques sont différentes, ainsi que la technique narrative et l’angle d’attaque, mais dans les deux cas, on raconte la guerre sale du gouvernement des Etats Unis contre les mouvements, des années Vingt à notre présent, en passant par les années Soixante.… Dans les deux cas, on raconte l’Amérique mais on parle de nous ici et maintenant, de nos guerres sales, des nos mouvements, de notre mémoire des luttes. Sonia est nous tous, donc. Et en fait, Sonia est l’Europe : fille de socialistes allemands fuyant le Troisième Reich, elle cite des auteurs européens (dont Marx), a un rapport symbiotique avec un magnétophone de marque européenne, un Butoba MT5… Sonia Langmut c’est nous. (en français dans le texte, NDT). S. Q.


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