Serge Quadruppani

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Une interview du soussigné

jeudi 17 septembre 2009, par Serge Quadruppani


Donnée par bibi au site Liberi di Scrivere, http://liberidiscrivere.splinder.com/, traduite par mes soins

1. Traducteur, journaliste, auteur de polars, en réalité, qu’est-ce que tu préfères faire ?

R. : Tout me plaît, mais j’aimerais avoir plus de temps pour écrire des romans noirs ou pas, des essais et des enquêtes.

2. Tu écris sur Libération et pour Le Monde Diplomatique, après des années d’engagement est-ce que tu crois que le travail de journaliste a une utilité sociale et aide les gens à comprendre la réalité ?

R. : J’ai écrit une fois un truc pour Libération, sur leur invite. J’écris et j’écrirai plus facilement pour Le Monde diplomatique, si on me le demande ou qu’on accepte mes propositions. Quand j’écris, ça m’aide moi-même à mieux comprendre et puis si mes articles aident aussi d’autes personnes, tant mieux.

3. En 68, tu étais très jeune, quel souvenir as-tu de cette période, tu penses que les idéaux et l’amour pour la liberté se sont maintenus ou que notre société s’est irrémédiablement "embourgeoisée" ?

R. : En 68 et dans les deux-trois années qui ont suivi, on a su qu’un autre monde était possible, on l’a expérimenté et c’est un savoir expérimental qu’on ne peut oublier. Beaucoup de fils de la bourgeoisie sont retournés dans leur classe mais quelques autres ont continué à penser contre elle. Je suis fils d’ouvriers et je suis content d’avoir rencontré des gens comme eux. La société est devenue plus dure, les pouvoirs sont devenus plus durs et plus séducteurs en même temps : une balle pour les Carlo Giuliani, et les paparazzi sur le Lido pour les Noemi (NdT : une des petites putes de Berlusconi). C’est notre monde, mais il fait quand même bien vomir.

4. Tu es très actif comme traducteur, quel auteur te plaît le plus à traduire et dis-moi s’il existe un secret pour faire de bonnes traductions ?

R. : Tous ceux qui sont dans la Bibliothèque italienne chez Métailié me plaisent, ce sont comme mes enfants : je les aime tous pareil même si je vois bien que certains ont plus de défauts que d’autres.

5. Tu as rédigé un livre sur l’Antiterrorisme en France. Tu penses que parfois les méthodes utilisées pour combattre ce mal sont pire que le mal lui-même ?

R. : Souvent terrorisme et antiterrorisme sont une seule et même chose, contrôlée par l’Etat ou les Etats, même si, au moins au début, les "combattants armés" sont sincères dans leur opposition à l’Etat.

6. Tu t’occupes aussi d’édition, tu as de nouveaux auteurs qui ont attiré ton attention ?

R. : Je viens juste de finir Anime Nere, de Gioachino Criaco (Ndt : voir ma chronique de Article11), qui m’a beaucoup frappé et je voudrais le traduire et l’éditer (Ndt : après avoir fait acheter les droits, rassurez-vous, Ms International Rights)

7. Tu as travaillé comme journaliste aussi en Italie, quelle différence y a-t-il entre ton pays et le nôtre ?

R. : Je ne suis pas journaliste, j’écris parfois dans des journaux, il y a très peu de différences entre la France et l’Italie dans le domaine de la qualité de la presse, et je ne tiens pas à en dire plus, sur ce que je pense des journaux en général, parce que je voudrais pouvoir continuer à placer des articles de temps en temps, pour dénoncer quelque méfait des puissants ou signaler un beau livre.

8. Le classique "polar" français a fait école, penses-tu qu’il y a une renaissance du genre ou la tendance prédominante est-elle une exaltation de la violence pour elle-même ?

R. : Il y a quelque chose de pire que l’exaltation de la violence pour elle-même : c’est l’exaltation de la violence pour vendre du Coca Cola. Le "polar classique" français m’ennuie.

9. Est-ce que tu as aimé Les rivières pourpres de Jean-Christophe Grangé ?

R. : Je n’ai pas aimé, même si je ne l’ai pas lu ! J’ai vu le film, que j’ai trouvé profondément ridicule, ça m’a suffi. (Ndt : en fait, j’ai essayé de lire je ne sais plus quoi de JCG et ça m’est tombé des mains - sempiternel mystère de la nullité best seller)

10. J’ai connu tes livres parce que publiés par les Gialli Mondadori, distribués dans les kiosques. Est-ce qu’il y a un projet de réédition complète de tes oeuvres en langue italienne ?

R. : Marsilio a déjà publié quelques titres et devrait continuer.

11. Qu’est-ce que tu penses de la Trilogie de Millénium de Stieg Larsson, c’est une trouvaille de marketing ou est-ce qu’il y a du vrai talent ?

R. : Il y a certainement du vrai talent. Mais je ne sais pas pourquoi ça a eu tant de succès, il y a des dizaines de livres bien plus beaux. Peut-être est-ce parce que les bouquins sont construits comme une série télévisée et de fait, quand je les lisais, il me semblait lire la télé.

12. J’ai lu L’assassina di Belleville (en français La forcenée) de nombreuses fois et chaque fois j’ai trouvé des nuances inattendues, pour toi le genre polar crée seulement des oeuvres de divertissement ou tu veux transmettre des messages plus profonds ?

R. : Je ne veux pas transmettre de messages, je veux raconter des histoires et des histoires vraiments belles, pour ne pas m’ennuyer moi-même (n’oublie pas que je suis mon premier lecteur), elles doivent avoir de l’épaisseur. Et puis je les écris avec ce que je suis et je n’y peux rien, en racontant le monde tel qu’il est, je m’énerve. Alors, j’essaie de m’énerver avec élégance et ironie.

13. Tu as aussi produit des oeuvres d’espionnage, tu penses revenir à ce genre, dans l’avenir ?

R. : Je ne fais pas vraiment des catégories, polar, noir, espionnage… Mon prochain, qui se passe entre l’Italie et la France, parle de complots mondiaux, pour changer.

14. Quel rapport as-tu avec la télé, on dit que son unique mérite est d’avoir enseigné l’italien aux Italiens. Tu penses qu’elle est massificatrice ou qu’elle transmet encore de la culture ?

R. : Mais de quel italien parles-tu ? Je préfère de loin l’italo-sicilien du Maestro Camilleri, le kaléidoscope de l’Ottava Vibrazione de Lucarelli, le wumingois, le carlottois, que cette langue aussi ennuyeuse que le français de la télé française.

15. L’humour noir, l’ironie, le paradoxe sont tes armes efficaces pour garder éveillée l’attention du lecteur, tu l’utilises seulement dans tes livres ou aussi dans la vie de tous les jours ?

R. : J’espère l’utiliser aussi dans la vie de tous les jours et même dans les interviewes.

16. La critique littéraire française est encore plutôt snob ou commence à apprécier le Noir ?

R. : Depuis toujours, il y a eu toute une partie de la critique qui a apprécié le Noir, c’était le cas aussi de grands écrivains, comme Gide, Sartre et tant d’autes. Après, il y a toujours, en France comme en Italie, des dinosaures pour qui le Noir c’est pas de la littérature.

17. As-tu lu le Da Vinci Code de Dan Brown ? Tu penses que ce genre de livres a un avenir ou tu les trouves fumeux et ennuyeux ?

R. : Ouf ! Mais elle ne finit jamais, cette interview ? On s’en fout de Dan Brown !

18. Il y a une anecdote bizarre dans ta carrière d’écrivain et de journaliste qui te revient à l’esprit et dont tu voudrais nous parler ?

R. : Un jour, dans un train pour Prague, un type a mal parlé de mon dernier roman à une très jolie fille et j’ai pensé, quand il est allé aux toilettes, le jeter discrètement sur les rails pour ensuite draguer la fille mais je n’en ai rien fait. Malheureusement. Parce qu’ensuite, il est devenu beaucoup plus célèbre que moi et il a gagné beaucoup d’argent. J’y repense souvent.

19. Qu’est-ce que tu penses du Noir nippon, d’auteurs comme Kitakata avec ses histoires de yakusas pleines de poésie, tu aimes ?

R. : Je ne connais absolument pas le Noir nippon.

20. Tu as un rêve dans un tiroir, un projet dont par désir de contrer le mauvais sort tu n’as jamais parlé à personne ?

R. : Et si je n’en ai jamais parlé jusqu’ici, pourquoi je devrais t’en parler à toi ?

21. Tu donnes des cours de journalisme à l’université ? On te l’a proposé, tu aimerais qu’on le fasse ?

R. : Non, non, non.

22. Maintenant, c’est vraiment la dernière question. Tu es en train de travailler à un nouveau roman, tu peux nous en dire quelque chose à l’avance ?

R. : Il s’appelle Saturne. Saturne dévore ses enfants et en même temps l’époque de Saturne fut celle où tout était à tous.


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