Serge Quadruppani

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Tenter Babel dans le Chaos Haïtien, 2e partie

suite de la communication de Chistiane Chaulet Achour au séminaire 2004-2005 du Centre de recherche Texte et Histoire de l’UFR des Lettres et Sciences humaines Département de lettres de l’Université de Cergy-Pontoise f

jeudi 30 juin 2005


De Grozny à Haïti : Prune et la passion des langues

Lorsqu’Antonin présente son projet pour la bourse d’écriture en Haïti, il a précisé plusieurs choses : le titre de son premier roman jamais publié, Le Brigand de Saint-Domingue (salut Victor Hugo !) ; le désir conservé d’aller voir de près un pays aux noms si étonnants : la plaine de Goave, l’Artibonite, le Morne Tonnerre, les monts Chaos ; la poésie « rude et simple » du récit de la fillette haïtienne. Il y a surtout un projet au présent :

« Interroger cet imaginaire sur la permanence, dans un présent largement tourné vers l’Amérique du Nord, d’un passé historique francophone qui n’est peut-être pas mort. Interroger aussi, en dehors des images d’Epinal sur le vaudou, la manière de vivre la mort en ces lieux où depuis si longtemps, au milieu de tant de malheurs, s’affirment les forces inlassables de la création. » (p.48)

Tentant de déléguer son désir à un personnage qui ne serait pas lui-même, il invente Prune, jeune linguiste qui a déjà un court passé de « découvreuse » de langues à Grozny. Depuis toujours en déficit de communication avec son entourage (visualisé en texte par les messages électroniques, nouvelle forme de communication impulsive et quelque peu autiste), Antonin réalise son désir de parler avec le monde. Le personnage est introduit par son premier coup de force rappelé précédemment : sa visite au révérend Hyacinthe. Puis, le temps d’un conte et des méditations d’Antonin sur sa vie ratée, on l’oublie quelque peu pour la retrouver à la fin du chapitre 4 : « Antonin Lombardo se replie dans le halo de son ordinateur, auprès de Prune en marche » (p.66).

Prune marche dans la luxuriante végétation haïtienne, autrement plus rude quand on la foule que lorsqu’on l’imagine de loin à Paris. Le dico qui alourdit son sac à dos est à l’image de sa vie où « elle avance munie d’un solide bagage linguistique » (p.67). Fille d’intellectuels... bon sang ne peut mentir ou, pour le dire en haïtien, « giraumon donne jamais calebasse », le portrait-charge de Prune est agrémenté par le rappel de sa rencontre avec une beurette qui l’avait tirée de sa médiocrité :

« Houria a fait découvrir à son amie de quels sédiments de sons et de sens naissaient ces agencements de mots qu’elle croyait engendrés par ses lèvres. Avec l’aide de quelques bons auteurs, linguistes et sociologues, elle lui a expliqué ce que parler veut dire. Et voilà comment Prune a fini par passer le bac en candidat libre avant d’entamer des études de sociologie et de linguistique. » (p.69)

Elle a été déposée, dans une région chaotique, par l’hélicoptère des Nations Unies. Firmin l’a prévenue qu’elle serait reprise le lendemain à la même heure et que, si elle n’était pas au rendez-vous, l’hélicoptère n’attendra pas. Il l’a mise en garde : « ça fait un an personne a parlé aux enfants-vieux de la Ravine. » (p.70). Il l’a mise en garde aussi contre des hommes méchants qu’elle peut rencontrer en 4x4 : pour se protéger, il faut qu’elle signale bien qu’elle a du matériel de l’ONU. Le vieil Haïtien a ajouté :

« - Et tout ça pour ces enfants-vieux de la Ravine-du-Monde ! Des reste-avec qui parlent même pas français ni créole ni aucune langue connue des bons chrétiens.
- Vous savez bien que c’est justement pour ça que je veux les voir... » (p.70)

Ce lieu et cette recherche, Prune en a pris le virus lors d’un dîner intello. organisé par son père où un vieil auteur a raconté des anecdotes sur les langues disparues : en particulier celle concernant Georges Duby qui s’était mis en tête de retrouver les derniers locuteurs du vasar « un des innombrables idiomes du Caucase, en voie de disparition » :

« Le peuple qui le parlait avait été aux trois quarts exterminé dans les années 30 par une famine déclenchée volontairement par Staline. Ensuite le quart restant avait été assimilé, il ne restait plus, aux portes de la Tchétchénie, qu’une douzaine de locuteurs du vasar, tous très âgés. Avec eux finirait leur langue puisque ces gens, nomades, n’avaient qu’une tradition de contes oraux. Tant pis pour eux, conclut l’écrivain avec un petit rire, ça leur apprendra à négliger la littérature... » (pp.71-72)

Prune n’a pas eu le temps de se remettre de cette désinvolture face à une langue qui meurt, qu’une autre convive était en train de raconter l’histoire des enfants de la Ravine-du-Monde. Toute l’histoire est rappelée : l’installation de l’orphelinat dans une ancienne plantation de café au milieu des montagnes du nord-est d’Haïti en 1983-1984 par une ONG canadienne et son très beau démarrage, indépendamment de structures haïtiennes déjà défectueuses avec des bébés orphelins et des reste-avec, c’est-à-dire des enfants très misérables abandonnés par leurs parents à d’autres. Puis, quand la malhonnêteté du directeur de l’ONG finançant le projet a été découverte au bout de deux-trois ans, les fonds ont été coupés et l’ONG a disparu. Des missionnaires salésiens ont pris le relais et sont partis ; il n’est plus resté qu’un seul adulte, un médecin indien de Pondichéry « le Dr. Pralinh, une espèce de Dr. Schweizer ( ...) (qui) avait décidé de se dédier à cette œuvre charitable. Bref... pendant quelques années, on n’a plus eu de nouvelles de l’institut » (p.73) On apprend aussi que la région est très sauvage, que seuls des trafiquants de Cocaïne y circulent dans cette chasse gardée du révérend Hyacinthe et de son Eglise qu’est tout ce nord-ouest d’Haïti. Des paysans ont témoigné avoir rencontré des jeunes gens bizarres « parlant une langue inconnue ». On supposait que le vieil Indien de la photo trouvée dans un sanctuaire vaudou était le médecin « et que cette communauté enfantine avait survécu sans lui, en développant une langue propre ». En plus de leur compétence linguistique étrange, ces jeunes gens pratiquent le culte vaudou.

Les informations recueillies lors de ce dîner ont été un véritable déclencheur pour Prune qui, dès le lendemain proposait « à une prof de Paris VII un projet de thèse intitulé Une langue qui naît, une langue qui meurt : approche comparative des dispositifs langagiers des derniers Vasars et d’une communauté isolée d’enfants haïtiens. (...) Deux mois après, elle allait chercher le dernier locuteur de vasar dans les ruines de Grozny. Et cinq mois plus tard, la voilà sur la piste de la Ravine-du-Monde, aux flancs du Morne-à-Pierrot. » (p.76)

Après l’exposé théorique vient la pratique : les pages qui suivent évoquent la rencontre de Prune avec les jeunes gens de l’institut : dans la peur panique qu’elle ressent, elle retrouve ses souvenirs tout récents de Grozny où elle a failli être exécutée. Mais, en même temps, une impression grisante l’envahit :

« Mais ici, oui, elle le sait bien où elle est : au seuil d’une des dernières zones blanches de la carte du bavardage mondial, à la frontière d’un des derniers territoires où l’on ne parle aucune langue connue. Et tandis qu’elle la franchit cette dernière frontière, Prune éprouve un intense, un exaltant sentiment de libération. » (p.79)

Le garçon déguisé en vieillard qui lui a dit : « - Moipala », lui adresse à nouveau la parole : « -A quoi devons-nous l’honneur de votre visite ? demande-t-il en français avec un léger accent du Midi. » (p.79)

Comme c’est le principe depuis le début du récit, on oublie Haïti pour se retrouver à Grozny et... Babel s’accomplit dans le mélange des langues et la difficile communication : on entend du russe, de l’anglais. Miraculeusement sauvée de l’exécution, Prune s’est retrouvée soignée par un médecin dont l’épouse, Azyadé, est la dernière Vasar ! (p.84) Le récit va encore oublier Prune une bonne trentaine de pages pour la retrouver (p.114), choyée par Azyadé qui est censée être muette. Malgré sa fatigue, Prune pense à ses recherches tout en mangeant et s’adresse à la femme en russe, désespérée d’avoir trouvé la dernière Vasar, muette. Mais celle-ci retrouve la parole dès que son mari est sorti :

« - Kogda on net, ia bolche ne molchaïa. On slishkom tupoï chtoby ia govoriu. Eto luchshe, esli on dumaet chto ia ne govoriu. Ce qui signifiait en ruse, grosso modo : “Quand il pas là, je plus muette. Lui trop con pour moi je parle. C’est mieux, il croit je parle pas. » Ensuite elle avait causé jusqu’au soir. D’abord dans son russe estropié mêlé de mots tchétchènes, anglais et même français, et puis, peu à peu, en vasar. A la fin, elle ne parlait plus que ça et Prune comprenait presque tout. » (p.116)

Prune est prête à tout pour achever sa thèse ! Là voilà donc au centre de son sujet : elle a passé la nuit à une courte distance de l’institut avec ses nouveaux compagnons, au cœur d’une véritable Babel chaotique, dans une situation semblable quoique différente à la nuit passée avec la dernière des Vasars. Le récit mélange le créole à la même expression de politesse en français que tous les jeunes gens qu’elle rencontre prononcent à tour de rôle. Prune parvient à gagner leur confiance en leur proposant de « faire une petite causette - An n fé yon ti pale ! » et leur explique qu’elle a bien compris tous les symboles du vaudou dont ils sont porteurs et leur fait une véritable conférence pendant qu’ils boivent son whisky et qu’ils fument des herbes. (pp.128-129) :

« Mais toute défoncée qu’elle fût, Prune avait gardé presque intactes ses capacités d’observation scientifique et elle ne manqua pas de relever un fait intriguant. Son polyglottisme semblait ravir son auditoire au moins autant que sa faconde : chaque apparition de mots étrangers était ponctuée d’exclamations approbatives, on riait, on applaudissait et à la fin, s’il n’avait pas fait si chaud, les loas l’auraient sans doute portée en triomphe. » (p.130)

Le seul moment où le charme est rompu c’est lorsqu’elle demande si le Dr. Pralinh est mort et que tous se figent et hurlent : « Doc’Pralin ou vle janmè ! » et l’un d’eux ajoute... en provençal ! : « Se vous plais, fau jamais parla de éu »

Cette fois, Prune est conduite en grande pompe à l’Institut : « Orphelins Sans Frontières - Institut de la Ravine-du-Monde ».

« Des jeunes gens vinrent à leur rencontre. Ils avaient tous une vingtaine d’années et on échangea des salutations créoles : « Ou lakay ou ! » dirent-ils à Prune. « Tu es ici chez toi » ? ça reste à prouver (...) A partir d’un grand poteau mitan de l’esplanade, des enfants d’âges variés, qui pouvaient avoir entre trois et huit ans, étaient disposés en files, comme les rayons d’une roue. Dans un silence juste troublé par le bruit du vent qui s’était levé et agitait les branchages alentour, Aleurou fit signe à Prune de se porter à ses côtés. » (p.133)

Chaque file va lui souhaiter la bienvenue dans une langue qu’elle identifie ou non :

« Bonvèspre ! Comme anas ? - Bon nochi ! Con ta bai ? - Wòalé. Alékè néfó dô ? - Masa el Kheir - Safi - Good evening - Kayfa halouk ? - Bu lukane ? How do you do ? » « Suivirent d’autres formules de politesse, en d’autres langues, dont la plupart totalement inconnues aux oreilles de la jeune universitaire. Quand ils eurent fait le tour complet, elle compta qu’il y avait en tout dix files. » (pp.133-134)

Sur l’ordinateur du Dr. Pralinh, elle découvre le projet fou du vieux savant, complètement expliqué :

« Au fur et à mesure que se raréfiaient les fonds permettant à l’institut de fonctionner, le vieil érudit a commencé de mettre en pratique un projet qu’il nourrissait depuis cinquante ans. Installer, dans des conditions d’autarcie aussi complètes que possible, une communauté d’enfants en bas âge qu’on répartirait par groupes et qu’on élèverait chacun dans une langue différente, pour observer ensuite les interactions langagières entre les groupes. »

Quand les Canadiens étaient partis, il avait formé deux instructeurs par langue. Les seules grandes langues apprises étaient l’anglais, le français et l’arabe. Par ailleurs :

« Il n’avait transmis que des langues qu’il définissait comme « dominées » : le provençal, le papiamento de l’île d’Aruba, le bichelamar du Vanuatu, le fongbé et quelques autres langues d’Afrique subsaharienne, le kokoyimidir et deux autres langues des aborigènes d’Australie. Il s’agissait de voir, notamment, comment ces langues, mises à égalité de condition avec les idiomes du commerce international, pouvaient se comporter et s’adapter. » (p.136)

Le Dr. Pralinh était persuadé de régler par cette expérience de nombreux problèmes scientifiques et humains. Mais la « pureté » de l’expérience a été compromise par l’enseignement d’une mambo de la région et « sous l’influence de la prêtresse, le groupe des dix instructeurs est devenu aussi le groupe des loas et une forme particulière du culte vaudou s’est installée... » (p.137) Clin d’œil peut-être de l’écrivain à une « haïtianité » incompressible ? Prune comprend que le Docteur a dû mourir un an et demi auparavant et se demande ce qu’est devenue la mambo. Celle-ci a manifestement réussi à donner une certaine homogénéité culturelle aux enfants de l’Institut en leur transmettant le créole et le vaudou. Et c’est Voitu, dans lequel s’est incarné définitivement le loa Damballah-wedo, qui l’entraîne derrière la maison des loas pour lui montrer les dessins rituels :

« Là, sur le sol, dans le sable soigneusement ratissé, des dessins ont été tracés avec des cailloux noirs et des coquillages blancs, des bouts de tissu multicolore, des boutons, des plumes, des baguettes, des fleurs séchées... Prune les reconnaît : ce sont des vévés, les symboles de chaque loa. En passant, elle voit celui d’Elizi, grand cœur transpercé d’un sabre et flanqué de drapeaux, celui d’Agoué-taroyo, un bateau, et le très abstrait dessin d’Ogou... Ils s’arrêtent devant celui de Damballah-wedo. Voitu le montre du doigt, puis se touche la poitrine et dit :
- Véné nomme. » (pp.140-141)

En introduisant un écart qui sera rétabli ensuite (Véné>Vévé), le romancier s’amuse à relier la faute de latin de la mère et le français créolisé de Voitu. Il fait aussi exploser la signification du titre en dehors de la sphère familiale et remet en suspens la suite des explications pour ne les reprendre que treize pages plus loin alors que Prune essaie de se débarrasser de Voitu pour engranger son matériau de thèse, en prenant des photos de tous les vévés :

« Chacun d’entre eux, en effet, est accompagné d’une devise dans une langue différente. En examinant cet ensemble de figures tracées au sol, la doctorante a saisi ce que signifie « Vévé nomme », la phrase prononcée par Voitu : chacun des dessins de loa est attribué à l’un des membres de l’équipe des instructeurs, et, en le « nommant », le vévé le lie indissolublement à une divinité vaudou en même temps qu’à une langue incarnée dans une devise au-dessous du dessin. L’ensemble, visiblement entretenu avec soin, représente la fusion des expériences linguistiques du Dr. Pralinh et de l’enseignement de la mambo. L’érudit de Pondichéry a mis au service de son projet les pouvoirs de la prêtresse. Ou le contraire ? Ou vice versa ? » (pp.153-154)

De manière inattendue, Prune se retrouve au centre d’une grande cérémonie rituelle où e texte du roman enregistre surtout tout ce qui a trait à l’occitan (en liaison avec ce qui a été raconté du père d’Antonin) mais en notant bien : « Tandis qu’on avance dans une vallée soigneusement ratissée, Prune entend d’autres chants en d’autres langues s’élever derrière eux »(p.156) et, dans la panique la plus totale, elle est précipitée dans « La Ravine-du-Monde », c’est-à-dire dans un vide vertigineux, en atterrissant dans une nacelle où elle comprendra peu après ce que les orphelins attendent d’elle : toute la logique du maintien de l’orphelinat et le rôle du révérend Hyacinthe s’éclairent...Il faut lire la fin du roman ! Evacuée comme les autres orphelins, Prune n’a plus en face d’elle « qu’une bande de gamins terrifiés » et tente une dernière communication linguistique :

« Elle se tourne vers la gamine grimèl, à peau jaune, assise juste à côté d’elle. Prune sait qu’elle enseigne une langue aborigène. La doctorante en connaît quelques termes, et un peu de grammaire. Dans cette langue, comme en bamiléké ou dans les idiomes dravidiens, il existe un « nous » inclusif et un « nous » exclusif (qui n’englobe pas l’interlocuteur).
- Nous allons nous battre, dit prune en kokoyimidir, en utilisant le nous inclusif. » (p.169)

Ainsi s’achève l’utopie linguistique inventée par Antonin. Son interprétation est loin d’être évidente. Est-ce un contournement de Babel en mettant en contact les langues pour qu’elles s’inventent des passerelles ? Est-ce négation de Babel et affirmation d’une autre manière de communiquer ? Pourquoi Haïti ? Quel est le jeu entre langues dominées d’Europe et territoires dominés du monde ? Quelle signification donner à cette inscription forte du Vaudou ? Il sera intéressant alors de réfléchir à la position d’un romancier français face à Haïti, en 2004, l’année du bicentenaire, et donc de réfléchir à l’implication et à l’exotisme, à la proximité et à la distance. Si l’on se contente de mesurer cela au nombre de pages - celles consacrées à l’auto-fiction et celles consacrées à Prune et à Haïti -, les secondes sont minoritaires (78 pages contre 94). L’implication dans un autre monde et l’inscription de cet autre monde dans un roman français restent donc minoritaires comme s’il était difficile de faire sa place à l’Autre qui reste en lisière et enfermé dans une histoire rocambolesque mais savoureuse. Ce roman plein de promesses tourne un peu court en fin de parcours, restant dans l’impasse comme Antonin mais aussi - peut-être ? - comme Haïti ? Quel est le « venin » qui est « nommé » ? Mais ne peut-on pas poser les questions autrement en revenant à la notion d’écriture babélienne. Si celle-ci se définit comme l’inscription dans la conscience et la mise en pratique de la pluralité des langues, on peut admettre que Serge Quadruppani comme nombre d’écrivains contemporains et, parmi eux, les Haïtiens, s’inscrit dans un « babélisme » littéraire. On a bien dans ce mélange de langues, dont l’article n’a rendu compte qu’imparfaitement, un effet de décentrement. Dans son article, « Le renversement de Babel ou la plaisir intercalaire des langues », Rodney Saint-Eloi montre que dans l’écriture haïtienne actuelle :

« La conception traditionnelle du babélisme, signe de l’incommunicabilité, évolue positivement. Et dans une perspective plutôt optimiste, elle est dépassée au profit d’une esthétique de l’écartèlement, qui éparpille mémoires, vécus et langages (...) Babel a opéré aujourd’hui un surprenant renversement... Le rêve de tout écrivain, je présume, est d’amplifier les sons de son village dans la vaste sonorité du monde »

Se situer « au mitan des langues », trouver son ressourcement dans « l’ambivalence » de la langue et de l’identité , tout cela est bien à l’œuvre dans Vénénome. On revient alors à la conception de la créolisation telle que la propose Glissant plutôt que celle des écrivains de la créolité : « Le lieu de Glissant est le vaste tourbillon, qui diffracte sans pour autant dissoudre. » L’écrivain fait preuve d’une véritable « boulimie face aux langues », que le critique nomme, pour les Haïtiens, « cannilinguisme » contemporain.


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