(sur la misère de la gauche institutionnelle italienne)
mercredi 28 octobre 2009, par Serge Quadruppani
Le 8 octobre, la Cour constitutionnelle annulait une loi sur mesure que Berlusconi avait fait voter pour bloquer divers procès le mettant en cause. La décision était saluée avec jubilation par toute la gauche officielle italienne et les journaux où elle s’exprime. Le même jour, on annonçait que De Gennaro, ex-chef de la police et aujourd’hui à la tête des services secrets, était relaxé dans l’affaire de l’école Diaz, qui avait servi de lieu de repos pour des participants aux manifestations contre le G8 à Gênes, en 2001.
Dans la nuit du 21 au 22 juillet, des policiers firent irruption et teignirent littéralement les murs du sang des gens qui y dormaient. Pour justifier la chose, certains flics apportèrent ensuite des cocktails Molotov sur les lieux. Des écoutes téléphoniques et des témoignages montraient que De Gennaro avait couvert, sinon encouragé, ces comportements. Le jour de sa relaxe, la grande presse classée à gauche n’a pas relevé le contraste entre les lourdes condamnations qui ont frappé les manifestants accusés de violence et le fait qu’aucun responsable ou membre des forces de l’ordre n’a eu à répondre sérieusement des exactions innombrables et sanglantes commises par les flics dans les rues et les lieux de détention durant les journées de Gênes.
La gauche institutionnelle italienne, et la presse où elle s’exprime, souffrent de jugeôlatrie. Pour en finir avec Berlusconi, cette gauche-là, incapable de proposer un programme socio-économique différent (rappelons que l’idole de Veltroni, c’était Blair), rongée par une guerre des chefs digne du PS français, ne compte plus que sur les juges pour en finir avec le Cavaliere. La démocratie devrait être sauvée par une magistrature qui s’est distinguée en inventant en 1969 le concept de « malaise actif » pour expliquer la chute de l’anarchiste Pinelli de la fenêtre de la préfecture de police Milan, et qui a utilisé les repentis et les lois d’exception pour assommer l’extrême-gauche de milliers d’années de prison sans jamais réussir à identifier les vrais responsables des attentats-massacres d’extrême droite.
La classe intellectuelle italienne, où la sensibilité de gauche était hégémonique, n’a rien fait contre la montée de la télécratie la plus crasse – quand elle n’y a pas participé. Son indignation aujourd’hui, face à la vulgarité berlusconienne, est comique. Depuis vingt ans qu’elle a renoncé aux « grands récits », elle a laissé l’imaginaire Mediaset occuper les têtes (« érotisme » de bordel à toute heure, apologie des gagneurs), parce qu’elle n’avait plus rien à proposer, depuis la chute du Mur, sinon un légalisme proclamé en boucle. Que l’illégalisme italien, fruit d’une histoire si particulière(1), soit souvent l’expression d’une mentalité clanique étrangère à la démocratie ne devrait pas conduire à fétichiser la loi. Les lois, comme l’ont proclamé l’année dernière les jeunes précaires de l’Onde, peuvent aussi être changées en descendant dans la rue. C’est pour avoir oublié cette banalité de base de feu le mouvement ouvrier, que la gauche institutionnelle, en Italie comme en France, est condamnée à une critique morale sans prise sur les misères réelles de l’époque. Des deux côtés des Alpes, l’opposition véritable est encore à naître.