Serge Quadruppani

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Dégâts de la bêtise

Anecdote pouvant servir à une étude sur le culte de la force en milieu contestaire

lundi 7 juin 2004, par Serge Quadruppani


Objet : A propos d’un incident me concernant Date : vendredi20 décembre 2002 17:57 De : Serge Quadruppani

Dimanche dernier, en me rendant à la manif antisécuritaire qui partait à 14h à Paris de la Gare du Nord, manif dont j’avais contribué à lancer le projet, mon chemin a croisé celui d’un personnage bien connu du micro-milieu autonome parisien, que je m’abstiendrai de nommer ici, bien qu’il ne se soit pas privé de m’attaquer nomitativement, ainsi que plusieurs autres camarades, dans un texte paru sur la liste A info. En me voyant, Monsieur X a lancé quelques insultes puis m’a craché dessus. J’ai voulu répondre, mais comme je n’avais pas assez de salive, j’ai réagi très instinctivement en lui balançant un coup de parapluie de face, dans le visage. Donc, oui, c’est moi qui ai porté le premier coup. A ce point, avant de jouer, comme il l’a fait ensuite, à "céluikacommencé", il faudrait peut-être rappeler deux points.

PREMIER POINT, le contexte : Voilà un peu plus d’un an, lors d’une réunion sur Gênes au CICP, une douzaine de personnes, emmenées par lui, m’ont à peu près empêché de m’exprimer et insulté abondamment, ainsi que quelques autres personnes, et, après m’avoir invité à sortir pour un "duel", ce que je me suis abstenu de faire parce que j’en ai rien à foutre de ces simagrées, il m’a annoncé publiquement que, partout où j’irais, il s’en prendrait à moi physiquement (j’emploie à dessein des termes vagues et mesurés, son vocabulaire de toto macho qui se la joue voyou me fatigue). Ensuite, j’ai été, à plusieurs reprises, l’objet des insultes et des crachats de ses clones. La raison de tant de haine est le texte sur Gênes que j’ai écrit en juillet 2001, au retour de la manif anti-G8 ("Les multiples visages de la révolte globale et la face assassine de Big Brother"). Ce texte a été publié notamment sur Samizdat, sur la liste Multitudes, dans les revues No Pasaran, Agone et Carré Rouge, et il a été repris dans le livre sur Gênes publié par Reflex et Samizdat. Chacun peut se faire une opinion, le critiquer et le rejeter autant qu’il veut. Mais chacun peut voir combien délirante est la lecture que lui et ses petits camarades en font. (Pour eux, j’y dirais que les black blocks étaient dans l’ensemble manipulés par les flics, alors que je dis précisément et explicitement le contraire.) A cela s’ajoute le fait que je ne critique pas assez les tute bianche. Et aussi, on peut le lire dans son texte, une construction assez abracadabrante, où il fait le procès de Samizdat et de moi-même en nous transformant en espèce de représentant des tute bianche en France, mouvement qui s’est dissous, que j’ai critiqué, et dont les composantes sont éparpillées aujourd’hui dans diverses directions. Tout cela, peut faire l’objet de discussions, de controverses aussi vives qu’on voudra. Mais tout cela ne justifie nullement qu’on nous traite, mes amis et moi, de "balances". En quelques dizaines d’années de participation à des activités anticapitalistes, j’ai eu ma ration d’insultes, mais celle-là passe pour moi la limite du supportable. On comprend donc que quand j’ai croisé M. X, j’étais quelque peu énervé. Son crachat m’a fait craquer.

Deuxième point : Subversion et sports de combat Le deuxième point, c’est que tout le monde sait, en particulier lui et moi le savons parfaitement, qu’il sait infiniment mieux se battre que moi. Le pouvoir de séduction que M. X exerce sur un micromilieu tient d’ailleurs beaucoup à ses capacités sportives. Quant à moi, à l’école de la subversion que j’ai fréquentée, la matière "sports de combat" n’était pas obligatoire et, d’une manière générale, j’ai toujours été dispensé des cours de gym. J’espère qu’il y aura, dans la société meilleure dont il est encore permis de rêver, une petite place pour les gens comme moi qui se foutent éperdument de "cultiver leur corps". Donc, si la question se situe vraiment au niveau où ce genre de pratique semble la réduire, à savoir qui sait qu’a les plus grosses couilles, qu’on me permette un instant de complaisance : où est vraiment le courage, du côté de celui qui se bat volontiers parce qu’il aime ça ou du côté de celui qui l’attaque en sachant parfaitement qu’il va se faire casser la gueule ?

"Pas la tête" Donc, comme prévu, et jusqu’à ce que de courageuses amies interviennent, je me suis fait casser la gueule. Là-dessus rien à dire... Enfin, juste un détail : quand j’étais à terre, il s’en est fallu de peu que M. X me porte un grand coup de pied dans la tête : une personne qui lui est proche est intervenue pour le retenir in extremis en lui disant "pas dans la tête, tu vas le tuer". Bon, tuer, c’est peut-être exagéré, mais disons qu’étaient possibles et même probables quelques séquelles graves. Châtiment qui paraît, avec le recul, tout de même un peu sévère, s’agissant juste d’un délit d’opinion, non ? Ensuite, tandis que je faisais la manif (pendant un moment, après j’en ai eu marre et je me suis barré avant la fin) grâce à la protection des amis du Scalp, M. X annonçait à haute voix et à plusieurs reprises que désormais, partout où j’irais, cela se reproduirait. Dans les conversations que certains ont tenté d’avoir avec lui, il faisait état d’un nouveau grief, qui montre seulement à quel point de moisissure ragoteuse est tombé un certain milieu : je l’aurais accusé d’"être un flic". Connerie pure. Je l’ai sufisamment croisé dans un certain nombre d’actions pour savoir à quoi m’en tenir en ce qui le concerne. Je suis convaincu, comme tous ceux que je fréquente, que son activisme est sincère, et tout comme sa participation passée à bon nombre d’initiatives tout à fait louables, son délire d’aujourd’hui n’est en rien manipulé. Les dégâts qu’il cause, il les cause tout seul comme un grand, en toute bonne foi "rebelle" - la part de pose que représente cette rébellion n’intéressant que lui et ceux qui le fréquentent.

Ce n’est pas sans réticence que j’ai rapporté cette tempête dans le verre d’eau parisien, surtout qu’il y a déjà trop de gens qui ne supportent pas que j’assume à visage découvert à la fois mon existence publique d’auteur et mon désir de continuer, malgré mon grand âge, à participer à la résistance à l’ordre capitaliste. Je sais que je m’expose au risque d’être accusé de jouer les vedettes avec une histoire à la con. Mais il me semble que l’exposé de cet incident devrait aider à poser quelques questions publiquement :

 Peut-on tolérer qu’un petit groupe de personnes décide qui a le droit ou pas d’assister aux manifs ? Comment les empêcher sans sombrer dans les guéguerres et les vendettas de bandes ?
 Se décidera-t-on un jour à réfléchir à la fascination que la force (et son corrolaire, de la loi du plus fort) exerce sur nos milieux ?

Je tenais aussi à dire ici, publiquement, que je ne me laisserai pas humilier tranquillement et que j’essaierai de me défendre avec les moyens que j’aurai sous la main. Si ça doit tourner mal, ce sera juste une défaite de plus des rebelles, conséquence de leur incapacité à se poser, entre tant d’autres, les questions ci-dessus énoncées.

rédigé le 20 décembre 2002 Serge Quadruppani


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