Serge Quadruppani

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La Bibliothèque Italienne aux éditions Anne-Marie Métailié, un certain visage de la littérature et de l’Italie

mardi 11 décembre 2007, par Serge Quadruppani


A examiner la quarantaine de titres qui, aux éditions Anne-Marie Métailiée, occupent aujoud’hui les rayons de la Bibliothèque italienne et de son annexe « Suites italiennes », on peut voir se dessiner un certain visage de la production d’outre-Alpes, tel que nous l’avons vu apparaître depuis dix ans et tel que nous voulons le restituer au public français, à travers le prisme terrible et merveilleux de la traduction.

Le roman noir au cœur

Parce que la face obscure de l’humain éclaire tout le reste, parce que l’histoire de l’Italie n’a cessé de ressembler à un giallo, parce que, dans la Botte comme partout, le polar est un excellent analyseur social et enfin parce que le roman noir incarne outre-Alpes le secteur le plus dynamique de la littérature, il occupe une place centrale dans notre bibliothèque. Mais, de Carlotto à Di Cara, de Dazieri à De Cataldo et Graziani, les œuvres proposées excèdent de partout les bornes du genre. La cruauté métaphysique du premier, le mélange de poésie et de trivialité du second, la folie en miroir du troisième, l’ampleur balzacienne du quatrième, l’humour dépressif de la cinquième… toutes ces qualités les placent en dehors du cadre strict du polar. Mais on ne saurait davantage y faire entrer de force le délire BD-trash de Serio, la vision éclatée de Brauci, l’étrange magie d’Angioni et moins que tout autre Giuseppe Montesano qui tire des missiles érudits et farcesques contre la vulgarité marchande. Même Grimaldi et Machiavelli, les plus conformes aux canons polareux, nous rappellent ce qu’on n’aurait jamais dû oublier depuis Simenon, à savoir que la littérature de genre peut être de la littérature tout court. Avec Wu Ming, singulier auteur collectif dont nous livrons fin août 2007 deux ouvrages solistes avant d’offrir en 2008 le grand roman (et best-seller) Manituana, et Valerio Evangelisti, dont nous publierons bientôt le premier tome d’un roman fleuve sur la révolution mexicaine, la bibliothèque italienne reste habitée par l’exigence de qualité et d’expérimentation, en même temps qu’elle ne cesse de se confronter aux séductions de la littérature de genre (ici, le polar, le roman historique).

Les Italies

Andrea Camilleri, vaisseau amiral de notre flottille, a mis sous les yeux du monde les mille bannières des parlers de l’Italie, ces langues si diverses et si vivantes, mais qui ne se sont jamais séparées du pavillon national. La culture italienne, un temps menacée d’uniformisation linguistique (ce que l’Etat avait mis des siècles à imposer en France, la télévision menaçait de le réaliser en quelques décennies), a redécouvert, et notamment grâce à notre maestro sicilien, la richesse et la profondeur de ses identités multiples. Mais la Sicile de Camilleri, à y regarder de près, à travers les rapports si particuliers que ses habitants entretiennent avec l’Etat, avec la vie et ses saveurs, avec le destin et ses mauvais tours, est aussi une Sicile universelle. Loin de nous embourber dans un folklore touristique, nos auteurs nous découvrent un pays où les racines servent à s’envoler. Dans la friction des corps et des langues contée par l’Opéra de Vigàta de Camilleri aussi bien par le Chi è Lou Sciortino, de Cappellani, ou le Naufrageur, de De Filippo, on sentira comme une métaphore de l’Italie réelle, de l’Italie rêvée (car la réalité sans le rêve n’est pas réelle), de cette Italie que notre bibliothèque raconte : plurielle, habitée de violentes contradictions sociales, définitivement impure et mélangée, terre d’immigrants et d’immigrés, ouverte depuis toujours aux grands vents du monde.


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