Serge Quadruppani

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L’insurrection europrécaire

Un texte de bifo

mercredi 12 décembre 2007, par Bifo

J’ai traduit ce texte non parce que j’en partagerais toutes les prises de position (je suis sceptique sur la thémtique du revenu d’existence) mais parce qu’il me semble une tentative intéressante de saisir la portée internationale du mouvement de mars 2006, à un moment où les grands journaux de la planète reprennent en choeur le refrain néo-libéral du "retard français" : il ne s’agit pas, ici, évidemment de défendre une "particularité française" (A bas toutes les patries !) mais bien les résistances qui se manifestent à la soumission accrue du travail par le capital, qui se manifestent dans l’hexagone comme ailleurs.

Un nouveau cycle européen

La lutte des précaires cognitifs français peut être le début d’un nouveau cycle politique et culturel en Europe. Ils ont occupé les écoles avec la conscience d’être ensemble, étudiants, travailleurs cognitifs et précaires dans le cycle fluide du capital recombinant. Et cela représente un fait nouveau, qui ne s’était jamais manifesté, avec cette clarté, dans les luttes étudiantes récentes. Que cela soit bien clair : les précaies cognitifs français posent une question qui est directement européenne, même s’il est vrai, comme dit Villepin, que le CPE est beaucoup mieux qu les règlements esclavagistes qui gouvernene td’autres pays, avant tout l’Italie. La loi Biaggi et le "paquet" Treu sont cent fois pires que le CPE que les étudiants français combattent. Donc il est clair que s’ils gagnent, la question se posera immédiatement dans chaque pays européen. Si les étudiants français réussisent à battre à le CPE, cela ne signifiera certes pas qu’ils auront battu la précarité, cela voudra seulement dire qu’ils auront repoussé la formalisation juridique de la précarisation. Et donc, ils auront ouvert une phase nouvelle dans l’histoire sociale européenne. Une phase de lutte et d’invention sociale qui, au-delà de l’esclavagisme néo-libéral, permettra de formuler de nouvelles règles, de nouveaux critères de régulation du rapport travail-capital.

Coeur Noir

La précarité n’est pas un élément particulier de la relation productive mais le coeur noir du processus de production capitaliste dans la sphère du réseau global dans lequel circule un flux continu d’info-travail fractalisé et recombinant. La précarité est l’élément transformateur du cycle entier de production. Personne ne restte à l’abri. Le salaire des travailleurs à temps indéterminé est frappé, réduit, taillé, la vie de tous est menacée par la précarisation. L’info-travail digitalisé peut être fragmenté sous forme fractale comme être recombiné en un lieu séparé de celui où le travail est affecté. Du point de vue de la valorisation du capital, le flux est continu, mais du point de vue de l’existence et du temps vécu par les travailleurs cognitifs, la prestation de travail a un caractère de fragmentation recombinable sous forme cellulaire. Des cellules pulsantes de travail s’allument et s’éteignent dans le grand tableau de contrôle de la production globale. L’info-travail est précarisé du fait, non pas d’une méchanceté contigente du patronat mais pour la simple raison que l’affectation du temps de travail peut être déconnectée de la personne physique et juridique du travailleur, océan de cellules valorisantes convoquées cellulairement et recombinées par la subjectivité du capital.

Revenu d’existence ou esclavagisme

Pour cela, il convient de reconceptualiser le rapport entre capital recombinant et travail congnitif, et convient de se doter d’un nouveau cadre de référence. Etant donné l’impossibilité, désormais, d’aboutir à une élaboration contractuelle du coût du travail en la fondant sur la personne juridique, du fait que la prestation de remps productif abstrait est déconnectée de la personne individuelle du travailleur, la forme traditionnelle du salariat est hors jeu, elle ne garantit plus rien. C’est si vrai que la redistribution du travail dépendant tend constamment à s’abaisser et que tendent à se reconstruire toutes les conditions du travail esclavagiste. Il est vrai que les postes de travail augmentent, mais le montant des salaires total diminue. Mais le chômage est beaucoup mieux que l’esclavage. Et c’est ce qu’on compris les rebelles du mars français, qui refutent le chantage patronal : si vous voulez du travail, acceptez l’esclavage.` La lutte des précaires français met à l’ordre du jour le problème du salaire comme problème politique global, et réclame à grands cris une nouvelle forme : le revenu d’existence déconnecté du travail. Naturellement, il ne sera jamais possible de parler de revenu d’existence aussi longtemps que les critères de gouvernement de la société resteront liés au cadre conceptuel de l’économie de croissance, c’est-à-dire à l’accumulation aux dépens des intérêts sociaux. Les liens de la croissance et de la compétitivité qui sont présentés comme des lois naturelles par la pensée dogmatique néo-libérale (et acceptés comme tels par la gauche incapable de pensée autonome non dogmatique) sont en réalité des règles établies sur la base d’un rapport de forces que les technologies digitales ont déséquilibrés en faveur du capital à travers la déterritorialisation du travail.

Les règles et la force

Les règles ne sont pas immuables, et il n’y a acune règle qui impose de respecter les règles. Cela, la gauche légaliste ne l’a jamais compris. Arrêtée sur l’idée qu’il faut respecter les règles, elle n’a jamais su tenir la confrontation sur le nouveau terrain inauguré par les technologies digitales et par la globalisation du cycle de l’info-travail. La droite l’a très bien compris et a subverti les règles qui avaient été établies en un siècle d’histoire syndicale. Dans le mode de production industrielle classique, la règle se fondait sur un rapport rigide entre travail et capital, et sur la possibilité de déterminer la valeur d’une marchandise sur la base du temps de travail socialement nécessaire. Mais dans la forme recombinante du capital basée sur l’exploitatioin de l’info-travail fluide, il n’existe plus aucun rapport déterministe entre temps de travail et valeur. Nous ne devons pas restaurer les règles que la droite a violées, nous devons inventer de nouvelles règles adéquates à la forme fluide du rapport travail-capital, qui ne connaît plus acun déterminisme quantitatif temps-valeur et donc ne connaît plus acune constante nécessaire dans les rapports entre grandeurs économiques.

Insurrection culturelle en Europe

Après les élections en Italie, il faudra que s’ouvre un processus d’insurrection culturelle généralisée contre la forme précarisée de l’existence. Chasser la droite servira seulement à retirer l’instrument du pouvoir politique des mains de gens dangereux mais la bataille commencera après, et nous devons réussir à la mettre sous le signe du revenu d’existence déconnecté du processus fluide de prestation cellulaire recombinant. La lutte des étudiants français peut avoir un effet de relance du processus européen. Le NON français au référendum sur la constitution était motivé essentiellement par le refus de la précarisation et de la dévaluation du salariat. Aujourd’hui, nous voyons la face "proposante" de ce NON. Le processus européen nee peut être gouverné par les intérêts du capital, qu’il soit protectionniste ou globaliste. Seul le travail, dans son processus de recomposition sociale peut fonctionner comme source du droit et de la culture européenne. C’est une autre leçon du mars français.


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