Serge Quadruppani

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L’incendie de novembre et la solidaritré nécessaire

jeudi 12 janvier 2006, par Serge Quadruppani


On a souvent, et avec raison, fait observer que les destructions (de véhicules et de bâtiments) consécutives aux troubles de novembre, n’ont eu pour effet immédiat que de rendre encore plus difficile la vie dans les quartiers populaires. On a moins souvent fait remarquer que, si le gouvernement Villepin-Sarkozy s’est aujourd’hui décidé à rendre, au moins en partie, les subventions de soutien aux banlieues qu’il avait supprimées, c’est bel et bien grâce au signal d’alarme qu’a été cette révolte. Même une députée UMP le dit aujourd’hui : « Ce qui s’est passé dans les banlieues n’est que l’expression de la désespérance. Ceux qu’on a appelé les « émeutiers » en étaient les porte-paroles ».

La désespérance a une origine bien précise : chômage, racisme, discrimination. Pas étonnant donc, écrivent deux sociologues dans un excellent article (1) refusé par le Monde et Libération « si les cadets des familles immigrées, qui voient tous les jours la situation dans laquelle se trouvent leurs aînés - à 25-30 ans, ils habitent encore chez leurs parents et naviguent de contrat précaire en contrat précaire sans espoir de travail stable -, sont tentés de se radicaliser de plus en plus tôt. Ce groupe des mineurs habitant en cité, qui est décrit comme étant de plus en plus « dur », n’est pas né par génération spontanée mais constitue, au contraire, une génération sociale qui a grandi dans la crise et dans la précarité, qui a bien souvent assisté au « désastre » dans leurs familles... »

Que fait le prisonnier quand il ne supporte plus la prison ? Il la rend encore plus insupportable, et commence souvent par brûler sa propre paillasse. La difficulté essentielle, pour établir des lignes de communication avec les jeunes révoltés des cités, c’est que la prison où il sont enfermés est aussi largement mentale. Adoration de la marchandise plus dose variable d’une identité religieuse bricolée, machisme (remarquable absence des femmes dans cette révolte), clanisme, enfermement sur la « cité » imaginaire (défi permanent à la cité d’en face) autant que réel (les transports, c’est cher) : les barreaux de la prison ne manquent pas. La difficulté essentielle, c’est que les révoltés n’ont pas l’air prêts à sortir de cette prison-là, seul espace de solidarité qu’ils connaissent. A tous ceux qui partagent le fond de leur révolte, revient donc la tâche de développer d’autres espaces de solidarité.

Absent d’Europe tout le mois de novembre, j’ai été assez étonné, à mon retour, de découvrir la faiblesse des réactions à la réactivation d’une loi coloniale agravant la ségrégation et le marquage de populations entière, avec un couvre-feu punissant la totalité des habitants des quartiers-ghettos, avec des centaines de condamnation à de la prison ferme dans des conditions d’arbitaire rarement égalées. Si l’on en croit les sondages (sachant bien sûr que les sondages valent plus pour ce qu’ils fabriquent que pour ce qu’ils révèlent), il paraît que le « peuple de gauche » acquiesce sourdement à la mise à l’écart sécuritaire de la partie la plus pauvre des classes populaires. Raison de plus pour aller contre ce courant. L’océan social est agité de tant de courants et de contre-courants, qu’on peut supposer que la situation, sur ce plan-là, n’a rien d’éternel.

Nous avons, à quelques-uns lancé une pétition (2) pour l’amnistie des révoltés de novembre, qui a connu un succès inattendu, avec plus de 1300 signatures, dont pas mal de gens connus, beaucoup de gens du terrain (profs, assistants sociaux, habitants des banlieues, élus locaux...) et une remarquable absence, à quelques exceptions près, des auteurs de polars. La solidarité internationale, déjà présente avec quelques signatures, sera la bienvenue.

(1) La « racaille » et les « vrais jeunes », critique d’une vision binaire du monde des cités, par Stéphane Beaud et Michel Pialoux, sur :http://infos.samizdat.net/article361.html (2) On peut la signer directement sur http://infos.samizdat.net/article371.html


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