Serge Quadruppani

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Salut à Alexis

Un adieu à Alexis Violet, infatigable militant, amateur sans mesure de bonne musique et de bon vin.

mercredi 10 mai 2006, par Serge Quadruppani


Je ne pourrai pas être là, aux deux cérémonies (1) organisées par tes proches et tes camarades alors je pense à toi, cher vieil anarcho-bolchevique, à ce jour où, toujours sur la brèche de la solidarité avec les sans-papiers, tu avais participé à l’occupation du centre de rétention des étrangers de la Gare du Nord et où, après une interpellation sportive, on s’était tous retrouvés, à quelques dizaines, dans la cour d’un commissariat rue Louis Blanc. Dès l’instant où nous avions été confrontés aux flics, d’abord les CRS robocops puis les OPJ avec flingue au côté, tu n’avais pas cessé de les apostropher, de leur dire ton mépris du sale boulot qu’ils faisaient. Et quand vint le moment de la signification de la garde à vue et de la fouille au corps (dans la bousculade, des brassards « police » avaient disparu), tu fus le seul à refuser de te déshabiller.

Bien sûr, il ne s’agissait pas d’un excès de pudeur, ton goût pour la débauche, tu l’as proclamé haut et fort dans tes beaux livres et montrer ton cul n’était pas vraiment pour t’inquiéter, mais ce que tu refusais, c’était l’humiliation et la soumission. Rejeton d’une famille partagée entre ceux que les nazis gazèrent et ceux qui purent être résistants, cette exigence de respect et ce refus de se soumettre te venaient de loin, et tu les partageais aisément avec les jeunes des cités ou les sans-papiers.

Les flics, après un moment d’hésitation, renoncèrent à te déshabiller de force, impressionnés qu’ils étaient par ta résolution, le grand âge que tu prétendais avoir (en réalité, ton comportement trahissait que les 18 ans de ta révolte ne t’avaient jamais quitté) et ce qu’ils sentaient peut-être, dans leur confuse tête de condé : que derrière toi, Alexis, il y avait toute une histoire, et que l’Histoire, ça peut faire des histoires. Mais quand vint le moment de nous relâcher, la fliquette-chef décida de te garder et il fallut qu’on s’agite un peu pour que la plaisanterie ne dure pas trop longtemps. Et quand tu sortis enfin, plus virulent et rigolard que jamais, en guise de remerciement pour notre agitation, tu nous engueulas pour avoir accepté, nous, de nous désaper...

Toi le copain de Debord et de Yacine, toi qui ne sortais du bistrot ou de tes innombrables réunion et manifestations et de la rédaction de tes papiers fougueux que pour monter aux fronts, des luttes anti-colonialistes aux combats avec tous les « sans » et contre tous les fachos et tous les flics, les roussins d’hier à pélerines et les keufs d’aujourd’hui à tonfas, les staliniens des années 60 et les calomniateurs contemporains, toi qui as fait tant de passages par le violon, le placard, le trou, te voilà parti pour le dernier trou et je suis sûr que si tu le pouvais, toi qui aimais la vie au point de l’arroser sans cesse pour mieux la faire fleurir, tu t’opposerais encore, imprécateur redoutable et vitupérateur splendide, au déshabillage obligatoire de la mort, quand la chair quitte les os.

Un toast pour Alexis !

Et pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, lisez ses deux beaux livres : La tribu, édition Allia, et Le temps gage, édition Noésis (parus tous deux sous son nom officiel, Jean-Michel Mension)

(1)Note du 10/05/06 : Après l’enterrement (mercredi 10/5, 15h30, cimetière Clichy- sud (92), métro : mairie de Clichy (ligne 13) un rassemblement aura lieu salle heideneim à clichy (6 place du marché du centre 92110 clichy) pour boire à sa mémoire à partir de 17 heures.


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