Serge Quadruppani

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Chroniques tarnacoises (novembre 2008-mai 2009)

Diverses interventions à la suite des interpellations du 11 novembre

lundi 22 juin 2009, par Serge Quadruppani

Je récapitule ici l’ensemble de mes interventions publiques contre l’opération spectaculaire démarrée en fanfare le 11 novembre 2008 et qui n’en finit pas de sombrer dans le ridicule, tandis qu’une bonne partie des interpellés restent inculpés.

17 novembre 2008, Rue89

Brèves réflexions sur la fabrication d’un épouvantail médiatique

(on trouvera ce texte sur ce même site, dans cette même rubrique)

Nous avons besoin de l’esprit de Tarnac (premier état d’un texte publié en abrégé sur Siné-Hebdo sous le titre : "Des Tarnac Partout !", dans cette même rubrique)

Sera-ce une circonstance aggravante ? Accusés, sans preuves ni aveux, de sabotage sur les lignes TGV, Julien Coupat et ses amis n’ont pas choisi d’habiter n’importe où. En effet, Tarnac, le village où ils faisaient pousser des carottes et tenaient une épicerie, se trouve à quelques kilomètres de Gentioux, où se dresse l’un des rares monuments aux morts de la guerre de 14 explicitement pacifiste. A côté d’une colonne où une plaque proclame : « maudite soit la guerre », la statue d’un petit paysans en sabot et paletot lève le poing. Chaque année, une manifestation pacifiste rassemble là plusieurs centaines de personnes. Tarnac est aussi sur les pentes du plateau des Millevaches, où Georges Guinguoin a créé l’un des tous premiers et plus importants maquis communistes, alors même que son parti en était encore au pacte germano-soviétique. Tarnac est encore à deux pas de Villedieu, où pendant la guerre d’Algérie, la population rameutée par son maire a bloqué les voies de chemin de fer pour empêcher le passage des convois de rappelés. Signalons pour finir que dans le cimetière de Tarnac, il n’y a pas beaucoup de croix…

Ainsi donc, voici une terre où l’on a su résister au bourrage de crâne patriotard, au bourrage de crâne pétainiste et stalinien, au bourrage de crâne colonialiste… Il n’est donc pas étonnant qu’on y résiste mieux qu’ailleurs au bourrage de crâne antiterroriste : quelques jours à peine après les arrestations, se manifestait un comité de défense local des emprisonnés du 11 novembre qui rassemblait une bonne part de la population. La fabrication de l’épouvantail de « l’ultra-gauche anarcho-autonome » par la ministre de la police s’appuyait pourtant sur un formidable battage médiatique. On a même vu une radio du service public, emportée par son élan, se livrer à une falsification pure et simple de l’interview d’un présumé « anarcho-autonome », en lui faisant dire, avec une opportune coupure, qu’il était favorable à la lutte armée, alors qu’il avait dit exactement le contraire (voir la manipulation démontée sur http://www.acrimed.org/article3012.html). Pourtant, contre ce battage, la résistance s’est vite manifestée : de Rouen à Toulouse, de Bruxelles à Lyon, de Périgueux à Lausanne, des comités de défense n’ont cessé de surgir et de se manifester. A Rennes, une affiche appelait à une manif pour le samedi 29 novembre.

Des textes sont parus : celui de Giorgio Agamben dans Libération, mais aussi en des lieux nettement plus inattendus comme le site « Causeur » (les articles de Jérôme Leroy et de Bruneau Maillé), l’opération d’intoxication entre polices a été analysé sur Bakchich, des pétitions ont été lancées (notamment celles du comité de défense , et celle d’Eric Hazan). Pour qui a un peu l’habitude de voir fleurir les opérations « antiterroristes », et les manipulations d’opinion qui les accompagnent depuis la fameuse stratégie de la tension dans l’Italie des années 70, ce fut une heureuse surprise de voir à quelle vitesse étonnante s’est manifesté ce qu’on pourrait appeler « l’esprit de Tarnac ». C’est que, au-delà du ridicule d’une accusation qui transformait la signature collective d’un livre (« comité invisible ») en association de malfaiteurs, et qui voyait du terrorisme dans ce qui était au plus des « actes de vandalisme » (comme disent eux-mêmes les gendarmes corréziens, voir le JDD du 23/11), chacun a compris « qu’il s’agit visiblement pour l’appareil d’Etat de tenter de criminaliser et d’effrayer toutes personnes ou mouvements exprimant son désaccord avec l’ordre du monde hors des sentiers autorisés (élections, partis politiques, syndicalisme d’accompagnement, démarches participatives… »

Si on avait besoin d’une démonstration supplémentaire de la justesse de cette analyse, c’est de Belgique qu’elle vient d’arriver. Après que des policiers ont fouillé une voiture signalée par un fichier, et après qu’il y ont trouvé des tracts du comité de soutien belge (lancé entre autres par l’ami Noël Godin), le conducteur du véhicule a été interpellé et interrogé sur le comité, l’appartement d’un libraire perquisitionné, son ordinateur contenant la liste des membres du comité et une liste d’adresse électronique sont saisis. A la criminalisation hâtive d’idées (tout ce qui peut être retenu à charge aujourd’hui contre les neuf interpellés) s’ajoute maintenant la criminalisation de la solidarité. L’enjeu est donc clair : au-delà du sort des neuf inculpés, c’est de la liberté de penser et de lutter qu’il s’agit. Exiger la remise en liberté des interpellés et l’abandon de la qualification de terrorisme est le minimum pour quiconque tient à ces libertés-là. Des Tarnac partout !

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx Alias (Il Manifesto)

L’antiterrorismo alla francese

All’alba dell’11 novembre 2008, durante un’operazione di grande spettacolo trasmessa in diretta dalle televisioni appositamente avvertite, vengono arrestare venti persone tra Parigi, Rouen, l’Est e il Centro della Francia ; l’operazione è battezzata « Taiga » e mobilita 150 poliziotti. Unità speciali con passamontagna, un paesino occupato da blindati, sospetti trasportati coperti da indumenti e circondati da incappucciati, le immagini che quel giorno si offrono ai francesi proclamano la pericolosità delle persone arrestate, così come il regime sotto il quale nove di queste sono detenute : grazie alla legislazione anti-terrorismo quattro giorni di fermo di polizia. I media riportano che sono membri del’« ultra-sinistra anarco-autonoma » e messi in relazione a cinque sabotaggi di alcune linee di collegamento delle ferrovie francesi nei dipartimenti dell’Oise, Yonne, Seine-et-Marne e Moselle. Lungo i cavi di alimentazione dei treni ad alta velocità erano stati messi dei ferri per il cemento armato, che al passaggio del primo convoglio avevano provocato il loro blocco e dunque ritardi su molti treni. La ministra dell’Interno Michèle Alliot-Marie si spertica in dichiarazioni di trionfo. Sarkozy si complimenta con la polizia. Si parla di documenti, di sequestro di materiale e di tracce di Dna.

Gli arrestati erano sorvegliati da mesi da membri dell’Unità di coordinamento di lotta al terrorismo (Uclat) con attrezzature tecnologiche di punta. Allo scadere delle 96 ore di interrogatorio, nove persone tra i 23 e i 34 anni, tra cui tre donne e quello che viene presentato come il leader del gruppo, Julien Coupat, diplomato alla Scuola superiore di scienze economiche e commerciali (Essec) ed ex studente di Sociologia, vengono denunciate per associazione sovversiva con finalità di terrorismo. Delle nove, quattro vengono rilasciate e cinque, tra cui Coupat, incarcerate. Quest’ultimo, insieme ad altri accusati, viveva in una specie di comunità nel cuore della Francia rurale. Uno degli arrestati gestiva il negozio di alimentari del paesino ed era presidente del comitato dei festeggiamenti. Il procuratore della repubblica parla di un’organizzazione chiamata « cellula invisibile ». Le fonti della polizia in contatto coi giornalisti spiegano che Coupat e la sua compagna erano sorvegliati da quando, qualche mese prima, erano stati segnalati dall’FBI, perché durante un controllo negli Stati Uniti erano risultati in possesso di documentazione anarchica. La leggerezza del fascicolo d’accusa per come viene mediatizzato non tarda a stupire gli spiriti critici. « Cellula invisibile » è una denominazione inventata a partire dal nome collettivo (« Comitato invisibile ») che firma un libro, L’insurrezione che viene, distribuito da oltre un anno da una prestigiosa casa editrice di Parigi con tanto di terre al sole (La Fabrique). Le colpevoli tracce di Dna scompaiono dalle dichiarazioni del ministero della Giustizia e degli Interni (per forza, non ce n’è una) ed emerge che l’unico elemento a carico è la partecipazione di diversi arrestati a manifestazioni e la presenza di due di loro (Coupat e la sua compagna) nei dintorni di una linea di collegamento la notte in cui sarebbe stata sabotata. Numerose testimonianze di ferrovieri e responsabili delle ferrovie francesi sottolineano che la tecnica utilizzata non avrebbe potuto in alcun modo provocare un deragliamento né incidenti a persone.

Poco dopo, il 17 novembre, sul sito d’informazione Rue89 pubblicavo un breve testo, dal titolo Qualche riflessione sulla costruzione di uno spauracchio mediatico, in cui sollevavo tre questioni : uno, il fascicolo d’accusa contro gli arrestati non sta in piedi ; due, ricondurre a terrorismo azioni di sabotaggio pensate per evitare qualunque incidente alle persone è una buffonata. E, aggiungevo : sotto forma di farsa, si ha l’impressione di rivedere le costruzioni abracadabra dei giudici italiani degli anni Settanta contro l’estrema sinistra, infilata in blocco dentro lo spauracchio del terrorismo. Infine affermavo : la favola del « gruppo anarco-autonomo » da parte della ministra di polizia e dei medi, che hanno rirpeso le sue parole senza alcuna distanza critica, è stata possibile solo grazie all’estrema ignoranza dei giornalisti nei confronti di qualunque espressione della critica radicale del capitalismo. Nessuno è obbligato a conoscere la storia dell’anarchia o quella dell’autonomia operaia. Eppure ci permettevamo di osservare che, per gente il cui lavoro è parlare di fenomeni sociali, uno sforzo documentativo sarebbe benvenuto : se oggi queste correnti non sono al centro della scena mediatica, furono comunque come pesci nell’acqua in qualcuno dei grandi eventi del secolo scorso, dal maggio ’68 all’autunno caldo italiano. Eventi che hanno profondamente segnato la fine del secolo e, vai a sapere in questi tempi di crisi, potrebbero anche rivivere una nuova giovinezza, assumere nuove sembianze negli anni che vengono. Dieci giorni dopo, « Le Monde » pubblicava un appello, intitolato No all’ordine nuovo, firmato da grossi nomi dell’università e della cultura, da Agamben (di cui Coupat è stato allievo) a Boltanski, da Judith Butler a Yves Pagès, passando per Badiou e Rancière. Un testo che, dopo aver analizzato la questione, concludeva : « Di fatti, questa vicenda è per noi un test. Fino a che punto possiamo accettare che la lotta al terrorismo consenta di accusare in qualunque momento qualunque persona ? Dove sta il limite della libertà di espressione ? Le leggi d’eccezione adottate col pretesto del terrorismo e della sicurezza a lungo termine sono compatibili con la democrazia ? Siamo pronti a vedere polizia e giustizia negoziare la svolta verso un ordine nuovo ? Tocca a noi dare una risposta a queste domande, chiedendo innanzitutto l’interruzione dei procedimenti a carico e l’immediata liberazione di quelle e quelli che sono stati accusati per fare da esempio ».

Perché nel frattempo era nato e cresciuto un movimento di sostegno di una forza e di un’estensione che ha sorpreso tanto gli Interni quanto quelli con abitudini di solidarietà. Un movimento che era partito da quello stesso paesino invaso dai superpoliziotti. Bisogna dire che Coupat e i suoi amici non avevano scelto quella regione, in cui coltivavano carote e facevano amicizia con i locali, per caso. Tarnac sta a qualche chilometro da Gentioux, dove è stato eretto uno dei pochi monumenti ai caduti della guerra del ‘15-18 esplicitamente contro la guerra. A fianco di una targhetta che recita « Maledetta sia la guerra », la statua di un piccolo contadino in zoccoli alza il pugno. Ogni anno, una manifestazione pacifista vi raduna diverse centinaia di persone. Tarnac è anche sulle pendici dell’altipiano di Millevaches, dove Georges Guinguoin ha creato uno dei primissimi e più importanti nuclei partigiani comunisti, quando il suo partito era ancora in pieno patto germano-sovietico. Tarnac è poi a due passi da Villedieu, dove durante la Guerra d’Algeria la popolazione aizzata dal sindaco bloccava le ferrovie per impedire il passaggio dei convogli di richiamati. Così, non stupisce che il primo di una serie di comitati di difesa, spuntati un po’ ovunque da Rouen a New York, da Losanna a Bruxelles, sia nato proprio lì coinvolgendo buona parte della popolazione.

Da lì sono partite la maggior parte delle analisi poi sviluppate da tante penne prestigiose, per smontare l’operazione di terrorismo dell’opinione guidata da Michèle Alliot-Marie, dietro istigazione di uno « stratega » dell’anti-terrorismo. Alain Bauer, il personaggio che ha inventato il fantomatico « gruppo anarco-autonomo », ha una biografia interessante. Dapprima dirigente del sindacato studentesco di sinistra (Unef), è stato invischiato in una vicenda di corruzione di una mutua studentesca, ha ispirato la svolta securitaria del Partito socialista con Jospin e dirige oggi una società di sicurezza dopo essere stato a capo di una loggia massonica. È stato lui a far leggere alla ministra Michèle Alliot-Marie L’insurrezione che viene. Diventato un seguace convinto di Sarkozy, espressamente per lui è stata creata una cattedra di criminologia, per cui non ha alcun titolo, in una Grande École di Parigi.

Ma il ribaltamento mediatico è diventato flagrante : ormai non sono in molti a prendere sul serio questa vicenda, diventata uno degli argomenti comici preferiti da radio e televisioni. Dopo moltissimi dibattiti, manifestazioni e interventi mediatici su tutto il territorio, dopo una manifestazione nazionale che il 31 gennaio ha radunato a Parigi tremila persone e altrettanti poliziotti, tutti gli accusati sono stati rilasciati. Tutti, tranne uno, Julien Coupat.

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Siné Hebdo, 8 avril 2009

Tarnac, zone interdite

Les plus inattentifs l’auront remarqué : l’Etat fait preuve d’un bel acharnement contre les inculpés du 11 novembre 2008, dans l’affaire dite de Tarnac. Le 26 mars, un article du Monde faisait pourtant le point sur le contenu du dossier, près de mille pièces et p.v. : depuis plus d’un an s’était déployé un dispositif digne de la Stasi (caméras dans les appartements et autour de la ferme tarnacoise, intrusions clandestine) et au bout du compte : aucune preuve matérielle. La seule mise sur écoute de l’épicerie gérée par l’un des membres du groupe a coûté 2883,15 euros par mois. La réplique médiatique ne se fait pas attendre : dès le lendemain, le site du Nouvel Observateur annonce que « l’étau se resserre sur les inculpés de Tarnac », au motif qu’on aurait trouvé, tiens donc justement maintenant, un « manuel de fabrication d’explosifs sur l’ordinateur d’Yldune Lévy ». Or tout le monde sait que de tels « manuels », plus ou moins sérieux, sont téléchargeables sur internet.

En réalité, le seul élément à charge contre Julien Coupat et sa compagne est leur présence non loin des lieux d’un sabotage de caténaire, dans la nuit où il s’est déroulé. Outre qu’en suivant de manière visible un couple de militants déterminés à échapper à toute surveillance étatique, il n’est pas bien difficile de les amener à être présents où on veut, les bizarreries abondent autour de cette caténaire sabotée en rase campagne par des gens qui ne pouvaient qu’être dotés d’une grande expertise (et la seule connue là-dessus est celle des antinucléaires allemands, qui pratiquent la chose depuis dix ans et ont revendiqué ce sabotage) : total désintérêt des policiers pour la revendication allemande (aux dernières nouvelles, ils ne l’avaient toujours pas demandée au journal qui l’avait reçue - les éventuelles traces qui auraient s’y trouver ne semblant pas les intéresser), relevés effectués seulement là où Julien et Yldune étaient censés avoir opéré (alors que d’autres sabotages avaient eu lieu ailleurs), disparition des enregistrements des communications informatiques et téléphoniques de la SNCF pour la seule tranche horaire du sabotage.

Si Julien Coupat reste en taule malgré la faiblesse du dossier, le sort de ses co-inculpés n’est pas non plus très enviable. Les habitants de Tarnac parmi eux sont interdits de présence là-bas, ce que ne saurait justifier aucune nécessité de l’enquête, les logements, perquisitionnés plusieurs fois, n’étant même pas sous scellés. Comme pour les enfantiliser, on assigne ces trentenaires à résidence chez leurs parents : Benjamin, l’épicier, chez sa mère à Avranche, à des centaines de kilomètres de son épicerie, Yldune chez ses géniteurs, interdite de contacts avec les parents de son compagnon, etc. L’épicerie qu’appréciaient tant les gens du cru, menace faillite, la bibliothèque publique créée par Julien et ses amis est en déshérence et les moutons, entretenus pour l’heure par des voisins, attendent leurs pasteurs. On voudrait désocialiser ces gens, rompre les liens tissés avec la population locale et les pousser à ressembler à l’épouvantail qu’on a fait d’eux, qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Il paraît que le patron des ex-RG de Limoges a déclaré que tant qu’il serait vivant, ils ne retourneraient pas à Tarnac. Comme on est sûr que la résistance aux opérations médiatico-policières du clan au pouvoir n’a pas fini de s’affirmer, mais comme on ne veut de mal à personne, souhaitons donc au chef local des Grandes Oreilles de changer d’avis et de vivre longtemps. xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx Rue 89, 8 avril 2009

Qui arrêtera Alain Bauer ?

Conseiller ès « ultra-gauche » de Michèle Alliot-Marie, Alain Bauer peut se vanter d’avoir contribué à faire arrêter Julien Coupat, et à le faire maintenir en détention malgré un dossier d’accusation plus que léger. Mais, après avoir vu le journal d’Antenne 2 lundi soir (http://jt.france2.fr/20h/), il me semble qu’on doit se poser la question : qui arrêtera Alain Bauer ? Certes, à la différence de cet idéologue sécuritaire, je ne souhaite pas qu’on prive quiconque de liberté - ni de celle d’aller et venir, ni de celle de penser et de s’exprimer. Mais quand on voit le « dossier » proposé par la chaîne du service public, qui mélange allègrement des images de Strasbourg, l’affaire dite de Tarnac, les propos sommaires (mais lui a-t-on laissé le temps d’en tenir d’autres ?) d’un individu présenté par la télé comme un autonome et… la ronde des obstinés (on voudrait insinuer que les enseignants-chercheurs sont infiltrés de dangereux individus violents qu’on ne s’y prendrait pas autrement), quand on voit cet étrange ragoût auquel Alain Bauer vient apporter une pincée de théorie, on se demande : comment arrêter ça ?

Certes, le personnage est intéressant (http://www.republique-des-lettres.fr/10652-alain-bauer.php). Ancien de l’Unef-Id tendance rocardienne, influent franc-maçon il a été administrateur de la MNEF et grand maître du Grand Orient de France. Après un stage au début des années 90 dans une société très liée à la CIA, il enseigne ou a enseigné aussi bien à Paris I qu’au centre National de formation judiciaire de la Gendarmerie et à l’Académie de police criminelle de Chine (un haut lieu démocratique, comme chacun sait). Co-auteur de nombreux ouvrages avec Xavier Raufer (Christian de Bongain, ancien d’Ordre nouveau), ami de dirigeants socialistes (Dray, Valls, Huchon, Cambadélis), qu’il a aidés de sa « science » dans le virage sécuritaire du Parti socialiste, il est maintenant dirigeant d’une société, AB Sécurité, de dimensions mondiales. Un parfait représentant de ce que Mike Davis appelle l’ « industrie de la peur ».

Sur la fantasmatique « ultra-gauche anarcho-autonome », l’ « expert » médiatiquement consacré transpose simplement la leçon apprise outre-atlantique : de même que, dans le catéchisme néo-conservateur, ceux qui cassent des vitres ouvrent la voie à, et sont potentiellement, des dealers-tueurs, celui qui commence par contester la loi en ne s’en prenant qu’aux biens doit être traité comme le terroriste qu’il risquerait de devenir. Faisant fi d’abyssales différences dans les positions politiques comme dans les contextes historiques, Bauer affirme en effet, dans l’émission citée, après des images montrant le livre L’insurrection qui vient et Julien Coupat, que les « prémisses sont les mêmes » que celles d’Action Directe et des Brigades Rouges. Dans un simple mémoire de maîtrise, un tel postulat téléologique mériterait à tous coups un refus de validation, mais on sait que l’enracinement de Bauer dans le sarkozisme est si solide qu’on a créé spécialement pour lui une chaire à la CNAM, malgré ses titres universitaires vivement constestés(http://www.rue89.com/2009/01/25/le-gouvernement-taille-une-chaire-sur-mesure-a-alain-bauer).

En réalité, l’individu importe peu. Des gens à carrière, qui savent se placer dans l’air du temps, on n’a eu que trop l’occasion de les voir à l’œuvre, de Kouchner à Tapie et de Val à Dati. Ce qui importe, c’est de quoi Bauer est le nom : une transposition sur le plan intérieur de ce concept de « guerre préventive » qui a si bien réussi à Bush, c’est-à-dire une politique tendant à criminaliser toute dissidence sociale, une politique au nom de laquelle « les mauvaises lectures », des « mœurs dissolues » et la participation à des manifestations occupent des dizaines et des dizaines de pages dans le dossier des Tarnacois. Une politique au nom de laquelle les policiers se sentent toujours plus tout permis (voir les si nombreux témoignages rapportés sur ce site et ailleurs). Une politique menaçant gravement ce qu’AB Sécurité, par un renversement orwellien, prétend respecter : les libertés publiques. C’est cette politique-là qu’il s’agit d’arrêter.

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Siné Hebdo mai 2009

Affaire Tarnac : les condés se la jouent voyou

Le 28 avril, Tessa Polak, membre d’un comité de soutien aux interpellés de Tarnac et autres lieux, est interpellée au volant de sa voiture dans le 20e arrondissement de Paris par des flics dont l’un braque son pistolet sur sa tempe tandis que deux autres la mettent en joue. Ils éjectent violemment le passager, ouvrent le coffre et s’écrient « bingo ! » en découvrant son contenu. Des fusils à pompe ? Non, L’insurrection qui vient, (Ed. La Fabrique), en plusieurs exemplaires. Au terme de 72 heures de garde-à-vue sous le régime antiterroriste, alors qu’elle est relâchée sans aucune inculpation, elle a eu le loisir d’entendre le juge d’instruction lui dire : « vous payez pour les autres », et de constater que les superflics tenaient beaucoup à ce que Julien Coupat soit l’auteur du bouquin, tout comme ceux qui ont interrogé l’éditeur Eric Hazan pendant quatre heures. A deux reprises, la bande de la SDNAT a aussi perquisitionné la pièce où les membres de la communauté mettaient leurs livres à la disposition des habitants du village, emportant à chaque fois une caisse de bouquins très normalement édités. Que des livres puissent constituer des pièces à charge est un concept qui appartient non à l’Etat de droit mais à l’Inquisition. Le lundi 18 mai, la bande antiterroro interpellait à Rouen deux hommes et une femme qui se retrouvaient en garde-à-vue à Paris, au motif qu’ils se seraient trouvés « à Thessalonique (Grèce) en septembre 2008 à l’occasion de la Foire internationale et seraient des proches de Coupat qui à l’occasion aurait pu rencontrer des autonomes allemands. » Le même jour, des amis de la même bande (la PJ de Marseille) interpellaient quatre membres du comité de soutien de Forcalquier. L’AFP parlait de la distribution de tracts contenant des menaces de mort à l’égard de Squarcini, directeur central du renseignement intérieur, accompagnées de l’adresse personnelle de ce dernier. Plus tard, quand les quatre ont été relâchés sans poursuites, l’AFP démentait les menaces. En fait, la réalité était encore plus anodine : ce qui avait motivé l’ire du superflic, ce n’était qu’une photo qui avait circulé sur Internet, où figurait à côté d’un interphone à son nom un tract du comité de défense appelant à une réunion (tract sans mention de Squarcini). Le caractère grotesque de l’opération fut encore accru par le piège tendu à un membre d’une délégation venue demander des nouvelles des interpellés à la préfecture de police de Marseille. Invité à les rencontrer, cet homme, membre de la Ligue des droits de l’homme, fut en fait placé 24 heures en garde à vue au motif qu’il serait l’auteur de la photo !

Résumé : des fantasmes, des constructions mentales emberlificotées, des comportements de voyous et toujours rien qui justifie que Julien Coupat en soit à six mois de détention préventive. En décembre, il m’écrivait dans un petit billet : « Il y en en effet, dans toute cette affaire, une dimension de comique involontaire que l’on relève trop peu. Bien plus qu’une poignée d’ « anarcho-autonome », la menace, pour ce régime, est d’être englouti dans un éclat de rire. » Souhaitons de ne pas trop longtemps rire jaune. xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx Rue89, 28 mai 2009

Six mois pour rien ? Oh que non ! (premier bilan de l’affaire dite de Tarnac)

La libération annoncée de Julien Coupat (à l’heure où j’écris ceci, son avocate attend toujours confirmation) achève de rendre ridicule aux yeux de tous l’opération de communication montée par le ministère de l’Intérieur avec l’aide de magistrats complaisants et de superpoliciers en quête de justifications à leurs lignes de crédits. Pour l’heure, sur le terrain judiciaire, la victoire est loin d’être complète. Pour vaines qu’elles soient dans leur tentative de rupture des liens, d’individualisation des défenses (interdictions de communiquer entre eux) et d’infantilisation (des trentenaires assignés à résidence chez leur parent), les mesures qui frapperaient l’intéressé, comme celles imposées à ses co-inculpés, ont encore le goût de ce qui se mange froid. La machine judiciaire étant fort mal équipée pour la marche arrière, un éventuel procès pourrait se conclure sur un de ces verdicts mi-chèvres mi-choux, du type peines couvrant les détentions, qui permettraient à la fine équipe Alliot-Marie-Bauer-Squarcini de ne pas perdre la face. Il y a encore des batailles à mener, pour l’abandon de la qualification « terroriste » d’abord, pour l’abandon pur et simple des poursuites ensuite. Mais à cette étape, on peut déjà faire quelques remarques pour contribuer à un premier bilan de cette affaire.

Sur le rôle des médias d’abord. A chaque fois que les autorités étatiques annoncent de vastes entreprises de répression, qu’il s’agisse d’opérations coups de poing en banlieue ou Taïga en Corrèze, ces déploiements de cagoulés avec leurs journalistes embedded prompts à dénicher les trafiquants dans les cages d’escalier et autres « épiceries tapies dans l’ombre », le fonctionnement des médias dominants est toujours le même : c’est radio-poulaga, la parole univoque des Autorités. Après, comme on est, paraît-il, en démocratie, les faiblesses du dossier apparaissant, il est toujours tant de laisser place à l’esprit critique. Le temps passant, les libre opinions et les mobilisations se multipliant, l’affaire de Tarnac a constitué un cas assez rare de scepticisme médiatique généralisé devant le discours gouvernemental. A l’exception de quelques organes qui se sont fait l’écho des faibles contre-attaques médiatiques de l’Intérieur (comme la soudaine et opportune apparition d’une liste de courses au Canada, et autres plaisanteries involontaires du Point), l’affaire de Tarnac a surtout servi de support à la verve des humoristes. Ayant été le premier, je le signale sans excessive modestie, à signaler dans un média national (ici-même) le caractère bouffon de l’affaire, je me permettrai de faire remarquer aux travailleurs médiatique qu’il existe bien d’autres dossiers semblables, par exemple celui de la fusillade de Villers-le-Bel, où les inculpés auraient aussi besoin de leur esprit critique renouvelé.

On peut quand même s’interroger sur cette tendance récurrente de ce qui se prétend « le quatrième pouvoir » à se faire porte parole de l’Intérieur. Directement dépendantes de cette oligarchie financière dont Sarkozy est le fondé de pouvoir, les directions des grands journaux sont tout naturellement portées à relayer la parole du gouvernement ou celle de ses opposants institutionnels. Mais les journalistes de base, ceux qui, de piges en CDI, connaissent une précarité qui les rapproche plus de la plèbe que de l’hyperbourgeoisie mondiale en train de détruire la planète, ces gens-là, pourquoi s’obstinent-ils à servir la seconde (et ses prétoriens) aux dépens de la première ? Un terrible soupçon nous saisit : serait-ce que la proximité avec la gent policière est indispensable au maintien de leur gagne-pain ? Plus de tuyaux, plus de boulot ? Si c’était ça, quel triste aveux !

Après ces premières observations, il faudra passer à l’essentiel : constater que dans cette affaire comme dans tant d’autres secteurs (des sans-papiers à l’éducation, du gaz aux entreprises cassées, et notre très chère Guadeloupe), l’esprit de rébellion a connu un renouveau qui pourait produire de l’imprévu dans les années à venir. L’idée du communisme est débattue à nouveau (même si elle est encore, pour certains philosophes, fâcheusement associée au serial-killer Mao). A travers la belle insurrection pacifique des comités de soutien, à travers les échanges sur Internet et dans les bistrots, les manifs et les assemblées, une intelligence collective est en train de naître, qui ne s’en laisse plus compter. Des tâches immenses l’attendent, comme de comprendre comment les mouvements sociaux pourraient se fédérer en dehors des institutions syndicales et partitaires qui ne visent au final qu’à maintenir l’existant.

Cher Julien, comme le montre ton interview, tu sembles doté d’une nature et d’un style (dans la vie comme dans l’écriture) qui t’ont permis d’affronter ces six mois de détention sans dégâts. Ces six mois d’incarcération arbitraire n’ont pas été perdus, pour nous tous. Mais enfin, je ne doute pas que ta sortie puisse être une bonne nouvelle pour toi, comme elle l’est pour nous. Bienvenue à l’air libre, Julien, tu vas pouvoir nous aider à critiquer sérieusement l’Insurrection qui vient.


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